Se souvenir de la guerre d’Espagne pour éclairer le présent

Le tableau «Guernica», de Pablo Picasso, dénonce le massacre de plus d‘un millier de civils perpétré le 26 avril 1937 à Guernica, en Espagne.
Photo: Cristina Quicler Agence France-Presse Le tableau «Guernica», de Pablo Picasso, dénonce le massacre de plus d‘un millier de civils perpétré le 26 avril 1937 à Guernica, en Espagne.

« Ou des avions arriveront de l’étranger, ou il n’y aura plus qu’à mourir le mieux possible. »André Malraux, L’espoir, 1937

En 1937, le romancier français André Malraux plaidait pour un meilleur appui des puissances démocratiques européennes et des États-Unis aux combattants républicains de la guerre civile espagnole (1936-1939). Ces derniers luttaient contre les fascistes qui, le 17 juillet 1936, avaient renversé le gouvernement constitutionnel installé à Madrid par un coup d’État militaire dirigé par le général Francisco Franco.

La résistance aux putschistes avait alors été louangée par de nombreux artistes, dont d’illustres écrivains de plusieurs nationalités, espagnole, certes, mais aussi russe, grecque, française, britannique et américaine. Cet engagement, souvent caractérisé par une participation aux combats auprès des résistants républicains et contre les franquistes, y compris au sein des brigades internationales, résonne de façon singulière aujourd’hui. C’est le cas notamment de celui exposé dans L’espoir (1937), Hommage à la Catalogne (1938), du Britannique George Orwell, et Pour qui sonne le glas (1940), de l’Américain Ernest Hemingway.

En plus de constituer de poignants récits de guerre, ces trois livres ont en commun une vigoureuse prise de position contre la dictature et le fascisme véritable, nationaliste et totalitaire, incarnés alors par Franco et aujourd’hui par Poutine. Il faut rappeler qu’à l’aube de la Deuxième Guerre mondiale (1939-1945), l’Angleterre, la France et les États-Unis cherchaient encore à amadouer Hitler. En conséquence, celui-ci et son allié le dictateur italien Mussolini, profitant de l’attentisme des démocraties tout en bafouant les accords de Munich signés en 1938, n’ont cessé d’appuyer Franco pendant toute la durée de la guerre civile.

L’un des plus tristement célèbres exemples de cet appui fut le massacre de plus d’un millier de civils perpétré le 26 avril 1937 à Guernica, petite ville basque. Œuvre de bombardiers allemands et italiens utilisant des bombes incendiaires, cette abomination fut peu après représentée par Picasso dans l’un de ses plus célèbres tableaux.

Trois écrivains pour la liberté

 

André Malraux fut l’un des écrivains les plus actifs dans la dénonciation des crimes de guerre commis par les agresseurs de la démocratie. Pendant presque toute la durée de la guerre, il combattit dans les rangs des antifascistes, surtout à titre d’aviateur. Il multiplia aussi les interventions écrites et orales auprès de l’opinion publique et des gouvernements — se rendant même aux États-Unis pour plaider sa cause et demander de l’aide humanitaire — afin que ceux-ci appuient plus concrètement les républicains.

Quant à Orwell, sa participation aux combats le mena en Catalogne aux côtés d’un étonnant aréopage d’authentiques socialistes, mais aussi d’anarchistes et plus encore de communistes, avec lesquels il fut souvent en désaccord. Témoin des tueries dont les deux camps se rendaient coupables, il prit conscience du danger inhérent à toute forme d’autoritarisme, de dogmatisme et de manipulation idéologique. Lucidité et créativité marquèrent ses œuvres subséquentes, dont La ferme des animaux (1945) et 1984 (1949). Il n’en célébra pas moins le courage des antifascistes, ainsi qu’en témoigne son Hommage à la Catalogne.

Plus près du cœur de l’Espagne, dans les hautes terres de Castille, c’est à titre de correspondant de guerre qu’Hemingway suivit de près les combattants, souvent des communistes alliés aux républicains. Mais il s’impliqua peu dans les combats mêmes. Celui qui obtint le prix Nobel de littérature en 1954 a tout de même livré un remarquable récit. Empreint de fureur et de romantisme, tout en illustrant les enchevêtrements de cette guerre, son Pour qui sonne le glas a d’ailleurs été porté avec succès à l’écran.

Des leçons à tirer

Les causes mêmes de la guerre civile d’Espagne ainsi que ses enjeux, ses protagonistes et son déroulement, toutes choses d’une infinie complexité, sont en apparence difficilement comparables à ceux de la guerre d’agression subie par l’Ukraine. Pourtant, plusieurs leçons devraient en être tirées, dont la suivante : fort de l’appui concret de ses amis dictateurs, Hitler et Mussolini, Franco a pu intensifier sa pratique de la terreur meurtrière jusqu’à sa victoire finale d’avril 1939, lourde de conséquences pour l’humanité. Et le chef de guerre, c’est-à-dire le Caudillo, put continuer à régner en dictateur sur l’Espagne tout entière jusqu’en 1975.

Fin mars 2022, on peut se demander pendant combien de temps, fort de l’appui, tout ambigu soit-il, de son ami le président autoritaire chinois, Xi Jinping, Poutine continuera à massacrer les Ukrainiens et à détruire leur pays, alors que les grandes puissances démocratiques européennes et nord-américaines hésitent à accentuer leur soutien militaire. Les Ukrainiens devront-ils persister encore longtemps à remplir le rôle de principales, voire uniques victimes sacrificielles ?

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