Garantir la représentativité du Québec à Ottawa

La baisse du poids démographique du Québec au sein du Canada est inéluctable. Elle ne fera d’ailleurs que s’accentuer avec le temps. Elle risque fort de s’accompagner d’une baisse de son poids politique, bien que cela ne doive pas être tenu pour acquis. En effet, il est arrivé fréquemment dans l’histoire que le Québec ait une voix plus forte que ce que sa démographie dans l’ensemble canadien laissait présager ou autorisait a priori.
Le recul démographique du Québec au sein du lien canadien se reflète forcément dans sa représentation à la Chambre des communes. Ainsi, le Directeur général des élections du Canada a proposé que le Québec perde un siège à l’occasion du prochain redécoupage des circonscriptions électorales et que le nombre total de sièges à la Chambre des communes passe de 338 à 342. Le gouvernement de Justin Trudeau semble enclin à préserver les 78 sièges actuels du Québec. De son côté, le Bloc québécois vient de faire adopter par la Chambre des communes une motion qui engage les élus à rejeter tout scénario de redécoupage de la carte électorale fédérale qui aurait pour effet de faire perdre une ou des circonscriptions électorales au Québec ou de diminuer son poids au sein de la fédération canadienne. La motion en question propose également la mise en place d’une nouvelle formule de répartition des sièges et demande au gouvernement canadien d’agir en conséquence.
Ce que le Bloc a en tête, lorsqu’il parle « d’une nouvelle formule », c’est la garantie que la représentation du Québec aux Communes ne descende jamais sous le plancher des 25 % de sièges. Or, accorder cela au Québec requerrait une modification constitutionnelle en bonne et due forme, accomplie en vertu de la procédure 7/50. Cela ne pourrait assurément pas être fait par le Parlement du Canada agissant unilatéralement et adoptant une simple loi.
Limite considérable
En effet, au Canada, le principe de la représentation proportionnelle à la Chambre des communes est fermement enchâssé dans la Constitution. Il n’est pas appliqué de manière parfaitement rigoureuse, mais il constitue quand même une limite considérable à la capacité des autorités fédérales à « accommoder » le Québec en ce qui touche à sa représentation au Parlement canadien. En d’autres mots, on peut certes s’éloigner de la représentation proportionnelle d’un siège ou de quelques-uns, mais on ne peut pas aller beaucoup plus loin. Dans cette veine, on ne peut certainement pas garantir au Québec 25 % des sièges, à moins de se conformer à la procédure de modification constitutionnelle en tant que telle.
La seule exception au principe de la représentation proportionnelle prévue par la Constitution canadienne vise à protéger les provinces très peu populeuses, comme l’Île-du-Prince-Édouard. Cette exception veut que de telles provinces puissent avoir droit à un nombre de députés au moins égal au nombre de sénateurs les représentant. Cette exception n’est d’aucun secours au Québec, pour le moment du moins. En effet, celui-ci dispose de 24 sénateurs.
À moins d’une modification constitutionnelle formelle, le poids relatif du Québec à la Chambre des communes ne cessera de diminuer à l’intérieur du Canada dans l’avenir. C’est là une bien triste perspective, il faut l’admettre.
Déclin progressif
En 1992, avec l’Entente de Charlottetown, Robert Bourassa avait obtenu l’assurance que le Québec conserverait dans l’avenir 25 % des députés de la Chambre des communes. Il avait accepté en retour une dilution de la « clause de la société distincte », la réforme du Sénat souhaitée par les provinces de l’Ouest et la création d’un troisième ordre de gouvernement pour les Autochtones. Il n’en reste pas moins que le gain de Robert Bourassa était considérable. Ce gain a d’ailleurs été sous-estimé à l’époque.
Quoi qu’il en soit, pour revenir à la motion du Bloc québécois dont nous parlions ci-dessus, il y a lieu de souligner que le seul fait qu’elle ait été si largement approuvée par les députés fédéraux témoigne d’une préoccupation de plus en plus manifeste de leur part — ou du moins de la part d’un certain nombre d’entre eux — à l’égard du déclin progressif du Québec au Canada.
Dans le contexte où le Québec est le chien de garde du fédéralisme dans l’ensemble canadien, il y a lieu de se demander si la perte graduelle et constante de son poids démographique à l’intérieur du Canada n’augure pas une centralisation plus prononcée du régime canadien. En d’autres mots, le Canada serait-il en train de perdre petit à petit cet ardent défenseur du principe fédéral, de l’équilibre fédératif et de l’esprit fédératif qu’est le Québec ? Le Canada lui-même serait-il en train de gommer, sans le vouloir peut-être, cet important porteur et vecteur identitaire qu’est le Québec ? Quand donc comprendra-t-on qu’une réforme constitutionnelle, favorable aux aspirations du Québec et portant entre autres sur sa représentation à la Chambre des communes, s’impose enfin, ne serait-ce que pour redéfinir les rapports de force entre les unités politiques composant ce pays ?