Le bêlement des agneaux universitaires
À la suite de l'attentat du début d'août 2002 à l'Université hébraïque de Jérusalem, qualifié de terroriste par les pro-Israéliens et d'acte de résistance par les pro-Palestiniens, un collectif de neuf universitaires de Montréal, Québec et Toronto, Marc Angenot, de l'Université McGill, en tête, signait leur réaction publiée dans Le Devoir du 7 août dernier. Je propose à mon tour une réaction d'universitaire donnant un point de vue différent et, espérons-le, moins biaisé mais tout aussi partisan.
D'entrée de jeu, je certifie m'élever le plus viscéralement possible contre tout attentat terroriste, d'où qu'il vienne, d'où qu'il parte, qui qu'il frappe, brise ou tue. Que ce soit d'une université, d'une ambulance, d'une conciergerie ou d'ailleurs, la vie d'un être humain ne peut qu'avoir le même prix, partout.Je trouve excessivement fâcheuse cette appétence de certains collègues universitaires de croire à une certaine supériorité humaine chez eux, qui fait alors que le crime d'attenter à une université soit plus grand que tout autre. Quelle triste prétention.
De plus, permettez-moi de le signaler à nouveau, il n'y a pas que des professeurs et des étudiants dans une université. Il y a aussi des personnes qui travaillent au soutien académique et administratif. On y trouve des commis, des secrétaires, des bibliothécaires, des concierges, des préposés à la cuisine, à l'entretien, des informaticiens, des gestionnaires, des serruriers, des peintres, des électriciens, des plombiers, des menuisiers, etc.
Et, selon moi, chacune de ces vies vaut bien celle de l'autre. Comprenez maintenant toute ma désolation à lire ces collègues universitaires qui ne semblent en avoir que pour leur petite caste!
Je m'élève aussi contre la diffusion erronée d'une image éculée et vaniteuse de l'université. Présenter l'université comme un lieu de pureté innocent et détaché de tout intérêt de ce monde autre que «le savoir» est faux, vicieux et manipulateur. Bien sûr, l'université, c'est merveilleux. Mais c'est aussi et souvent terrible. Surtout ce que l'on peut faire du savoir acquis.
L'université qui sauve des vie par ses savoirs médicaux, qui améliore la vie sociale des populations par ses approches collectivistes et ses mille et une autres actions de même nature fait aussi beaucoup de mal en instruisant des politiciens, des comptables, des gestionnaires véreux à la WorldCom et à la Enron, ou à la Cinar et à la Nortel.
Mais l'université tue aussi en rendant possibles les bombes atomiques, les produits chimiques à la Bhopal, la manipulation génétique débridée, la production d'armes navales et aérospatiales des plus sophistiquées, etc. Ça aussi, il faut le voir et le reconnaître et cesser de présenter le monde universitaire comme le dernier refuge intouchable des purs de cette planète. Cela est un lamentable leurre. Certains argumenteront que l'université n'est pas responsable de ses petits génies qui tournent mal. Si c'est le cas, comment peut-elle alors se glorifier de ceux qui tournent bien?
Lorsque des universitaires cautionnent et s'associent à des régimes politiques spoliateurs, colonisateurs et criminels de guerre comme celui dirigé par Ariel Sharon actuellement en Israël, je prétends que ce comportement tue autant sinon davantage l'esprit universitaire que ne l'a fait ce désespéré palestinien à Jérusalem. Qu'a donc dit ou écrit ce collectif d'universitaires lorsque la Tsahal juive a fermé des universités palestiniennes ou certains de leurs départements, arrêté et torturé des universitaires palestiniens, tué certains d'entre eux, bloqué les accès à toute formation y compris, à certains moments, jusqu'à la plus modeste des écoles de village en Palestine? Il s'est caché derrière sa «partisanerie» aveugle qui consiste à faire passer tout un peuple pour terroriste en niant son propre terrorisme d'État et où la vie, le pays, la ville, le village ou la maison d'un Palestinien ne valent rien, au point qu'on peut tout détruire ou tout prendre.
Déportons, s'ils vivent encore, les parents, les frères et les soeurs du kamikaze à Gaza, détruisons leurs maisons, car ils sont aussi des terroristes. Je me demande ce qu'en diraient Jean Moulin et les résistants français, où certains des leurs ont dû aussi se sacrifier.
J'ai honte pour nous, universitaires du monde entier, qui buvons, souvent à notre insu, les calembredaines égocentriques encore une fois évoquées dans le texte collectif des Angenot et consorts, comme pour en appeler à une sorte d'immunité acquise de droit divin pour nous, universitaires.
Mais je sais que de plus en plus d'universitaires, de tout métier, s'éloignent de ce corporatisme moyenâgeux. Nous le constatons de plus en plus depuis cette seconde Intifada et même en Israël avec, entre autres, la valeureuse professeure Tanya Reinhart, de l'Université de Tel Aviv.
C'est à ces universitaires-là que j'en appelle aujourd'hui. Quittons notre lâcheté légendaire de gens de savoir, quittons notre illusoire tour d'ivoire (souvenons-nous des tours du WTC), quittons notre petit confort de la honte et dénonçons fortement et activement toutes les forces opprimantes, spoliatrices et barbares qui créent les injustices, lesquelles à leur tour créent le terrorisme partout, où que ce soit. N'attendons pas que la liste de Sharon s'allonge davantage. Elle a depuis bien trop longtemps dépassé celle de Golda Meir vengeant Munich, et celle du courageux Schindler.
Ça suffit!
Faisons en sorte que jamais dans l'Histoire du monde quelqu'un plus loin, en avant de nous, se demande: où étaient-ils donc, ces universitaires du moment, lorsque cela s'est produit?, comme on se le demande encore aujourd'hui pour l'Holocauste. Je voudrais pour ma part répondre que j'étais debout à côté des opprimés pour me battre avec eux.
Et dans le combat Israël-Palestine, je voudrais répondre que j'étais debout avec les Palestiniens mais aussi avec tous ces Juifs d'Israël qui, souvent au risque de leur propre bien-être, demandent et exigent le départ des colonies juives de Cisjordanie et de Gaza.
Je voudrais qu'après nous, plus jamais n'existe le terrorisme militaire de l'État surpuissant ou encore celui du résistant désespéré. Étant plutôt de mauvaise herbe, comme le chante Brassens, jamais au grand jamais je ne voudrais être associé à quelque collectif frileux et collabo que ce soit.
Nous faudrait-il un Costa-Gavras pour produire un Amen universitaire? Pie XII se sentirait peut-être moins seul.