Xi Jinping, Prix Nobel de la paix 2022?

Les conflits de l’histoire se sont normalement terminés de deux façons différentes : par la destruction de son ennemi que l’on contraint à une capitulation sans condition ou par une paix séparée où chacun des belligérants accepte de faire des concessions.
À la lumière de la situation actuelle en Ukraine, il est difficile de penser au réalisme du premier scénario, d’où la raison pour laquelle une sortie de crise par la négociation et les concessions mutuelles apparaît comme étant la seule option envisageable : une perspective difficilement concevable en ce moment, mais qui risque de s’imposer lorsque le conflit aura atteint un degré plus profond d’enlisement.
La question qui se pose est celle de savoir qui pourra agir comme médiateur jouissant d’une oreille attentive tant de la Russie que de l’Ukraine ainsi que d’une capacité réelle à forcer ces derniers à s’engager dans une véritable négociation.
Après avoir annoncé son intention de mener une « guerre totale » à la Russie et lancé des appels à étouffer l’économie russe, en plus des menaces à peine voilées d’opérer un changement de régime en Russie (et d’accuser ad nauseam Vladimir Poutine d’être un leader mentalement instable), l’Occident s’est définitivement privé de sa capacité à faire un jour office de médiateur impartial et en apparence désintéressé. La rupture des derniers liens entre nous et la Russie est fort probablement définitive et irréparable à court et à moyen terme.
L’occasion est donc belle pour le régime chinois de Xi Jinping qui, il faut bien l’admettre, est placé devant un dilemme de taille, d’où la raison pour laquelle Pékin a constamment appelé la Russie et l’Ukraine à négocier, et ce, jusque dans les dernières heures qui ont précédé l’invasion.
D’une part, en raison des nombreux liens économiques ainsi qu’en matière de sécurité qui ont été développés au cours des dernières années entre les dictateurs russe et chinois, Xi Jinping ne peut tout simplement pas condamner l’aventure ukrainienne de Poutine. En revanche, cette guerre n’est pas moins une épine dans le pied de la Chine, qui a développé au cours des dernières décennies une grande interdépendance économique avec Kiev, dont la stabilité est désormais menacée par la guerre.
En outre, le succès du projet pharaonique de Xi Jinping de « route de la soie », qu’il qualifie lui-même de plus grand projet de tous les temps, qui consiste à relier par un chemin de fer le marché chinois à l’Europe, nécessite une Ukraine pacifiée, puisqu’une partie importante de ce projet passe par un accès à la mer Noire via le port d’Odessa. La Chine a énormément à perdre dans cette guerre.
En outre, la Chine possède une énorme capacité d’influence sur son voisin russe. Avec les sanctions économiques qui frappent désormais Moscou très durement, la capacité qu’a Vladimir Poutine de maintenir son économie à flot dépend désormais en grande partie de l’empire du Milieu, qui s’est refusé pour le moment à sanctionner la Russie. Cette dépendance de la Russie envers la Chine est en outre validée par les visites fréquentes de Vladimir Poutine à Pékin et par son attitude joviale envers Xi Jinping lors de celles-ci, laquelle est inversement proportionnelle à la déférence qu’il manifeste envers ses homologues occidentaux.
En somme, la Chine est peut-être à l’heure actuelle le seul médiateur envisageable dans le cadre de ce conflit, dont l’intercession pourrait également être bénéfique à son image sur la scène internationale, qui a été rudement mise à mal en raison de la pandémie. Le « soft power » chinois a donc actuellement besoin d’un nouveau souffle, et ramener une paix jugée impossible aux portes de l’Europe pourrait y contribuer de façon exponentielle. La perspective d’un Xi Jinping recevant le prix Nobel de la paix en 2022 n’est donc pas si folle qu’il n’y paraît à première vue.
Toutefois, si ce scénario venait à se produire, il faut être conscient que cette « paix chinoise » risquerait de se faire en l’absence de l’Occident, dont on peut douter de la capacité à occuper un siège à la table des négociations après l’escalade récente de ses mesures et ses accusations envers Vladimir Poutine. Une paix en Europe en l’absence des Européens ainsi qu’une paix qui serait favorable aux intérêts chinois : voilà le prix que nous devrons peut-être avoir à payer.