Décoloniser le Québec

La critique du Québec dans la perspective autochtone est fondamentalement juste et justifiée. Le Canada et le Québec sont des sociétés coloniales depuis Jacques Cartier et, malgré certains efforts ponctuels, elles le demeurent aujourd’hui.
Il ne sert à rien de se dérober en disant que notre colonialisme est moins affreux que celui du voisin. Cela ne change rien au fait que le colonialisme est par définition fondé sur l’inégalité raciale. Le colonialisme a d’abord été français ; il a ensuite été britannique ; il est aujourd’hui canado-québécois.
La situation historique du peuple québécois est compliquée parce qu’il est à la fois dominateur et dominé. Il se situe à un niveau intermédiaire, complice de l’oppression des nations autochtones et brimé par le Canada.
Des Idées en revues

Il y a des conditions incontournables à remplir pour espérer arriver à un dialogue respectueux et fructueux avec les Premières Nations :
1. Reconnaître le racisme systémique au Québec. Nous ne nous rendrons jamais au premier but d’un dialogue approfondi et authentique avec les nations autochtones reconnues par l’Assemblée nationale sans cette reconnaissance, car, pour elles, le racisme systémique est au cœur de leur expérience historique avec les peuples canadien et québécois, et cette expérience se perpétue chaque jour. Le colonialisme est indissociable du racisme systémique depuis 1534. Les Autochtones n’ont jamais eu les mêmes droits que les Français en Nouvelle-France.
2. Reconnaître que l’oppression des Autochtones est canado-québécoise depuis l’obtention du gouvernement responsable en 1848. Les premières lois pour civiliser les Sauvages du Québec en les enfermant dans des réserves datent de 1851, à l’époque du gouvernement de Louis-Hippolyte La Fontaine à la tête du Québec et de l’Ontario réunis pour former temporairement le Canada-Uni. La Loi sur les Indiens a toujours eu pour fonction de déblayer le territoire de l’occupation autochtone pour permettre au gouvernement du Québec de procéder au développement des ressources naturelles sans obstacle. Dans la perspective autochtone, ce sont les deux volets d’une même oppression.
3. Modifier les lois québécoises sur les ressources naturelles et l’aménagement du territoire, ainsi que le Code civil, pour refléter et respecter les droits autochtones. Ces lois ne sont pas conformes au droit international, plus précisément à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones de 2007, qui a été introduite à l’intérieur du droit canadien par une loi fédérale en juin 2021.
4. Étendre le modèle de la paix des braves aux autres nations autochtones qui y ont droit. Ces nations sont cinq d’entre elles à mes yeux : les Innus, les Attikameks, les Anichinabés, les Micmacs et les Malécites. Ces nations détiennent des droits territoriaux non cédés, c’est-à-dire sans traité. Les revendications des Cris, des Inuits et des Naskapis ont été réglées par un traité moderne, la Convention de la Baie-James, et ses nombreuses modifications. Les Mohawks, les Abénaquis et les Hurons-Wendats sont des cas particuliers qui peuvent néanmoins bénéficier du droit international et du droit constitutionnel canadien. Nous nous autocongratulons d’une paix des braves qui est un règlement à l’amiable d’une action judiciaire des Cris. Il est particulièrement odieux qu’en 2022 le seul moyen d’obtenir d’autres paix des braves soit, semble-t-il, toujours la voie judiciaire, dans des actions très coûteuses pour des communautés autochtones appauvries par le refus du gouvernement du Québec de partager les revenus du développement des ressources naturelles.
5. Créer le forum parlementaire permanent promis par René Lévesque en 1985 pour un dialogue approfondi et constant avec les nations et les communautés autochtones, et réfléchir en commun à leur participation permanente aux travaux de l’Assemblée nationale.
6. Associer les Autochtones au développement des ressources naturelles sur leurs territoires traditionnels en leur donnant une part équitable des revenus futurs et une compensation pour le passé, tout en leur réservant une partie des contrats de développement des ressources naturelles et de voirie, comme c’est déjà le cas pour les Cris et les Inuits. Il est normal et légitime que les Premières Nations deviennent des acteurs économiques majeurs dans leurs régions et dans l’ensemble du Québec.
7. Proposer aux Autochtones de participer à des gouvernements régionaux, qu’il faut créer par ailleurs, comme c’est déjà le cas en territoires cris et inuits. La solution à la question autochtone est en grande partie régionale.
8. Adopter une Constitution du Québec qui sera conforme à la Déclaration des droits des peuples autochtones que l’ONU a adoptée en 2007.
9. Sur le plan de la réconciliation symbolique, remplacer le nom de la rue Sherbrooke à Montréal par celui de boulevard des Premières Nations, comme le préconisait l’anthropologue Serge Bouchard, et modifier le drapeau du Québec pour y inclure un symbole autochtone.
C’est à de telles conditions que le colonialisme québécois prendra fin. Nous en sommes encore loin. D’ici là, l’autosatisfaction n’est pas de mise.
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