Là où je suis moins fier…

«Je suis profondément déçu que nous n’ayons pas donné un appui massif au Oui», écrit l'auteur.
Photo: Michel Tremblay «Je suis profondément déçu que nous n’ayons pas donné un appui massif au Oui», écrit l'auteur.

Historien, sociologue, écrivain, enseignant à l’Université du Québec à Chicoutimi dans les programmes d’histoire, de sociologie, d’anthropologie, de science politique et de coopération internationale et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les imaginaires collectifs.

On se souviendra que René Lévesque a déjà dit, en s’adressant aux Québécois :
« Nous sommes quelque chose comme un grand peuple. » En d’autres circonstances, il est permis d’imaginer qu’il aurait pu ajouter : « Oui, mais… » C’est ce que je fais aujourd’hui, donnant suite à mon texte des 18 et 19 décembre derniers (« Pourquoi je suis fier d’être Québécois »).

Le référendum de 1995

 

Je suis profondément déçu que nous n’ayons pas donné un appui massif au Oui. Quand se représentera une pareille occasion d’entrer dans le grand concert des nations, d’y faire valoir nos atouts et d’y promouvoir nous-mêmes nos intérêts ? Entre-temps, nous n’en finissons plus de payer ce choix.

La protection de l’environnement

Il règne un large consensus à l’échelle mondiale sur la gravité des changements climatiques et l’urgence de prendre les mesures appropriées. Or, pour s’en tenir à notre gouvernement et surtout au gouvernement fédéral, on ne voit pas dans leurs politiques émerger cette question comme étant de la plus grande urgence. Car, si je comprends ce qu’on lit et entend, il s’agit bien du sort de la planète ?

On apprend plutôt que les émissions de gaz à effet de serre ont encore augmenté chez nous l’an dernier, qu’elles vont augmenter au moins jusqu’en 2030, que la production mondiale du charbon est à un niveau record et que le gouvernement canadien s’apprête à autoriser de grandes compagnies pétrolières à prospecter les fonds sous-marins. Ne doit-on pas s’inquiéter aussi de ces projets de développement soustraits à l’examen du BAPE? Des experts nous disent que le Québec compte parmi les États les plus actifs sur ce front. Un esprit moins droit que le mien en déduirait que le niveau général est plutôt inquiétant…

Les sondages révèlent un fort appui à des interventions musclées. Mais sommes-nous bien préparés aux sacrifices qui vont les accompagner ? Je pense aux changements dans les genres de vie, aux contraintes qui pèseront sur la consommation et les loisirs, à la réduction des déplacements, à la fin de la culture du « char », aux pénuries de biens sur le marché, aux chambardements dans l’industrie et les valeurs boursières, à la hausse des prix de nombreux produits, etc.

L’ampleur de cette perspective appellerait une pédagogie efficace. Des prises de conscience difficiles sont à prévoir ainsi que des courants d’opposition féroces aux nouvelles politiques, même chez des citoyens qui s’y montraient favorables au départ — l’expérience de la lutte contre la pandémie et des oppositions qu’elle a suscitées nous enseigne pourtant quelques leçons sur le potentiel d’irrationalité à prévoir.

L’avenir de notre parler

La nouvelle vague d’anglicismes qui déferle présentement sur notre langue — encouragée par ce qui nous vient de France (la « Sorbonne Université »…) — témoigne d’un relâchement difficile à expliquer. Plus que jamais, avec la mondialisation, les emprunts à l’anglais prolifèrent. Un usage qui m’agace en particulier, c’est quand un locuteur insère dans un texte ou une conversation un mot ou une expression anglaise (« comme disent les Anglais… »). Sous-entendu : l’expression française est trop pauvre (trop « cheap »), elle ne fait pas le poids. Ce procédé dévalue notre langue. Mais je pense aussi à la piètre qualité de la langue chez les étudiants et les futurs enseignants.

La lutte contre la pandémie

 

Après avoir été admiratif de monsieur Legault durant la première année de la pandémie, j’en suis devenu plutôt critique aujourd’hui. Mes deux raisons principales sont les suivantes. Pourquoi, après avoir annoncé une nouvelle mesure de confinement, attendait-il si longtemps avant de l’appliquer (exemple : l’interdiction faite aux non-vaccinés d’accéder aux magasins de la SAQ et de la SQDC) ? Également, pourquoi se monter si tolérant envers les non-vaccinés animés par des motifs douteux (je ne parle pas ce ceux et celles qui ont des raisons sérieuses) ?

La loi 21

 

Des arguments séduisants présentent cette loi comme pluraliste, égalitaire, antidiscriminatoire et féministe. On ne changera pourtant pas le fait que, dans ses effets concrets, elle affecte quasi exclusivement des membres des minorités, et surtout des femmes. Les démographes prévoient une croissance de l’immigration et donc des minorités au Québec ainsi qu’une augmentation de la diversité religieuse. La loi résistera-t-elle à ces changements ?

Quoi qu’il en soit, le gouvernement Legault a réussi un véritable tour de force en plaçant cette loi au cœur de l’identité nationale, à titre de valeur québécoise fondamentale. Grâce à ce procédé, elle fait désormais partie du patrimoine collectif à défendre contre les empiètements fédéraux. Elle s’inscrit ainsi dans la vieille tradition de nos luttes nationales. Du même coup, les dissidents deviennent des Québécois déloyaux. C’est précisément ce qu’ont dit une bonne partie des personnes sondées récemment par la maison Léger. Une question de droit s’est ainsi transformée en un test de patriotisme.

Enfin, je trouve moi aussi très déplacées les initiatives en provenance du Canada anglais pour combattre une loi qui a été adoptée démocratiquement par notre Assemblée nationale.

 

Un survol incomplet…

Bien d’autres maux sont à déplorer. Je pense, entre autres, aux inégalités sociales reparties à la hausse, aux menaces à notre démocratie, au sort réservé aux personnes âgées, à l’agressivité de nombreux antivax, à la croissance de l’enseignement privé qui accentue un clivage social dans la population, au tiers des finissants francophones qui, au terme de leur secondaire, s’inscrivent à des cégeps anglophones, à la violence gratuite des nouveaux gangs de rue qui auront bientôt raison de l’image du Québécois bon enfant, à la culture du bannissement qui incite à l’autocensure dans les établissements d’enseignement…

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées en accueillant autant les analyses et commentaires de ses lecteurs que ceux de penseurs et experts d’ici et d’ailleurs. Envie d’y prendre part? Soumettez votre texte à l’adresse opinion@ledevoir.com. Juste envie d’en lire plus? Abonnez-vous à notre Courrier des idées.

À voir en vidéo