Quand Abou Dhabi collabore avec Pékin

La Chine mène une répression terrible contre sa minorité ouïgoure. On l’accuse de détenir près d’un million de personnes dans des camps. Mais elle les traque même en dehors du pays. Depuis 2001, ce sont près de 300 Ouïgours qui ont été arrêtés dans le monde arabe et extradés vers la Chine. Les Ouïgours sont non seulement musulmans, mais aussi turcophones, lâchés par le monde entier, dont la Turquie et en particulier certains pays du Golfe qui vont même plus loin. Depuis plusieurs années, la plupart des Ouïgours qui ont fui ont été identifiés par les Émirats arabes unis qui mettent même leurs locaux, notamment à Dubaï, à disposition des autorités chinoises pour leur faciliter la tâche. C’est une enquête de Sky News qui révèle le pot aux roses, sur la base de sept témoignages que nos pays très friands de business avec les Émirats arabes unis cherchent toujours à ignorer.
Depuis des années, le régime chinois mène une répression féroce contre eux, les accusant de terrorisme, et ce, désormais sans aucun doute à l’échelle internationale. Au-delà de ses propres frontières donc, alors que Pékin mène une répression féroce, pousse à la séparation des familles, institutionnalise le travail forcé. Dans cette enquête du média britannique, les Émirats, plus que tout autre pays, reviennent régulièrement dans les témoignages. Des arrestations qui se passent souvent dans des « black sites », des zones de non-droit à Dubaï en particulier, et où des officiels chinois viennent mener des interrogatoires souvent musclés contre des Ouïgours qui ont été au préalable identifiés par les autorités émiraties.
Les méthodes sont terribles : l’un des témoins, réfugié aux Pays-Bas et qui était parti de Chine en 2009 après avoir quitté le Parti communiste chinois, raconte comment un jour il a reçu un message d’un vieil ami du Xinjiang qui l’invitait à venir le voir à Dubaï pour lui parler de quelque chose de très important. C’était en 2019. Il s’y rend de façon candide et il y découvre alors tout un réseau de dénonciation autour de lui. On commence à faire pression sur lui et sur sa famille restée en Chine pour obtenir des informations de sa part sur d’autres ressortissants ouïgours réfugiés à l’étranger. D’autres expliquent comment ils sont traqués, jusqu’à voyager pour fuir leur pays d’exil, et en transit via Dubaï, se font cueillir pour se retrouver dans un centre de détention émirati. « Wu » découvrira de nombreux autres Ouïgours arrêtés comme lui sur place. Il sera bien, comme tant d’autres, questionné par des responsables de services de sécurité chinois sur le sol émirati ! À commencer par le consul général chinois.
Depuis des années, au-delà des bonnes relations commerciales entre les deux pays, Chine et Émirats collaborent pour une coopération militaire et sécuritaire. Il y a 6000 entreprises chinoises présentes dans la confédération. La qualité des services secrets et de cybersurveillance émiratis n’est plus à vanter, et ce, notamment grâce à une collaboration ancienne avec Israël en matière de sécurité. Et Abou Dhabi a vite appris. De plus, il existe un accord d’extradition entre Pékin et Abou Dhabi, qui permet du coup cette traque contre les Ouïgours, qui ne pèsent pas grand-chose par rapport aux enjeux majeurs de ces relations bilatérales. Il est urgent de soulever cette question non seulement au nom du droit international, des Nations unies, mais aussi au nom de nos relations propres entre les États membres de l’Union européenne et les Émirats arabes unis. La question ouïgoure prend d’ailleurs de plus en plus d’importance dans les débats parlementaires européens, interrogeant notre rapport permanent, voire de dépendance dangereuse à l’égard de la Chine.