Pour une Afrique sans coups d’État

«La logique qui consiste à valider et à légitimer les coups d’État militaires sous prétexte de la faillite de l’État et de ses carences à gouverner est plus qu’éculée, improductive et surtout irréaliste», écrivent les auteurs.
Photo: Issouf Sanogo Agence France-Presse «La logique qui consiste à valider et à légitimer les coups d’État militaires sous prétexte de la faillite de l’État et de ses carences à gouverner est plus qu’éculée, improductive et surtout irréaliste», écrivent les auteurs.

Le Burkina Faso s’ajoute à la liste des pays africains où la prise de pouvoir par l’armée révèle une difficile réappropriation par les acteurs politiques et militaires de l’État de droit comme forme d’organisation de la société. C’est même la réalité de l’adhésion à la démocratie comme modalité de gouvernance qu’il faut interroger lorsque l’armée devient l’arbitre principal des tensions et conflits qui émergent de la vie commune.

Du Burkina Faso au Soudan en passant par le Mali, la Guinée et le Tchad, nous avons été témoins de crises et de divergences politiques distinctes. Mais, dans tous ces cas, le corps militaire a confirmé son emprise sur le champ politique, soit en s’autoproclamant défenseur légitime des intérêts du peuple, soit en disqualifiant le droit et l’éthique comme outils de régulation de la coexistence sociale. Résultat : le politique et le social dans une grande majorité des pays d’Afrique ne sont pas totalement affranchis de la tutelle militaire.

Dans les faits, et en dépit de l’adhésion formelle aux principes démocratiques, l’armée demeure l’institution véritablement souveraine, comme en témoignent la longévité des régimes autoritaires, les coups de force constitutionnels pour briguer un troisième mandat et la subordination de la légalité constitutionnelle à la force des armes. Or, c’est là une situation déplorable qui prend en otage le devenir démocratique du continent et qui accentue la vulnérabilité des populations déjà fragilisées par la précarité et l’insécurité. Il est urgent de développer une stratégie nationale, sous-régionale et continentale pour contenir le risque d’une instabilité durable et chronique. Dans un monde de plus en plus fragmenté, où les luttes hégémoniques entre les grandes puissances s’intensifient, l’Afrique doit impérativement s’interroger sur sa capacité collective à s’organiser, tant sur le plan politique que sur le plan institutionnel.

L’impuissance des coups d’État

Rappelons tout d’abord que les coups d’État ne peuvent être une réponse à l’incapacité des États à assumer les prérogatives de justice, d’égalité et de sécurité. La logique qui consiste à valider et à légitimer les coups d’État militaires sous prétexte de la faillite de l’État et de ses carences à gouverner est plus qu’éculée, improductive et surtout irréaliste. Le rôle des armées africaines a suffisamment été mis en question à travers de nombreuses études universitaires et des observations sociopolitiques, et rien ne prouve à ce jour qu’une junte qui prend le pouvoir par effraction et par la force dispose d’outils pratiques susceptibles de créer les conditions sociales et politiques d’un État capable.

De même, l’armée, dans l’histoire politique du Burkina Faso par exemple, a joué un rôle important dans l’enracinement d’une culture politique autoritaire et néopatrimoniale. L’incapacité du président Roch Kaboré, élu et réélu démocratiquement, n’est que la conséquence d’une longue agonie de l’État burkinabè. Bien qu’on puisse critiquer avec raison sa stratégie de gouvernance en matière de politiques de développement et surtout de lutte contre les djihadistes, il est difficile de voir en quoi le coup de force de l’armée peut créer les conditions sociales et politiques d’un État capable. On peut entendre l’argument de celles et ceux qui exigeaient son départ, mais parce que son pouvoir reposait sur une légitimité juridique et politique, il aurait fallu explorer et épuiser tous les dispositifs démocratiques de contestation pour faire face à cette rupture de confiance. Il est regrettable que les Forces armées aient brutalement interrompu le processus démocratique entamé depuis 2015 en posant leurs bottes sur le droit et le politique, sous les regards complaisants des acteurs politiques qui ne cessent pourtant de psalmodier la nécessité d’un État de droit. Il y a un réel travail d’éducation politique à faire si on veut, à travers l’Afrique, favoriser l’enracinement durable d’une culture de l’État de droit.

Exercice de lucidité

 

Pour ce faire, il faudra commencer par réévaluer, au niveau national, les perceptions collectives en lien avec la signification de l’État de droit et ce qu’il implique en matière de gouvernement de la société. Car la persistance de la violence et de l’autoritarisme comme modalités de socialisation politique est en contradiction avec les exigences éthiques, juridiques et constitutionnelles de l’organisation démocratique des pouvoirs publics. Et il sera très difficile d’opérer des changements à l’échelle sous-régionale et à l’échelle continentale si à l’intérieur des frontières persistent des modes de gouvernance qui allient dans une logique contradictoire le respect de l’État de droit, une représentation autoritaire du pouvoir et des pratiques prétoriennes de la gouvernance.

Peut-être que l’idéal serait de ne plus galvauder les références à la démocratie libérale et à l’État de droit, mais de savoir fondamentalement comment une société d’hommes et de femmes peut s’organiser de manière à répondre aux besoins existentiels des êtres humains, ne serait-ce que minimalement. Car, pour l’heure, les gouvernements, les organisations sous-régionales et l’Union africaine n’arrivent pas à traduire politiquement et institutionnellement les demandes de paix, de stabilité, de justice socioéconomique et d’éducation formulées par les populations. Et ce n’est pas en maniant la fibre nationaliste et panafricaine que nous parviendrons à faire preuve de raisonnabilité en acceptant de rompre avec des modes de gouvernance antinomiques à l’humanité des populations africaines. Il est aussi temps de savoir quelle représentation de l’humain, sur le plan politique, nous voulons défendre, et comment depuis l’Afrique nous allons contribuer aux réflexions sur notre condition planétaire.

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