Reconnaître la réalité professionnelle des musiciennes et musiciens

«Si rien n’est fait dès à présent pour intégrer la relève dans la reprise des activités culturelles, nous craignons l’exode des talents et une perte d’expertise en musique qui pourrait avoir des répercussions à plus long terme», estiment les signataires.
Photo: Olivier Zuida Le Devoir «Si rien n’est fait dès à présent pour intégrer la relève dans la reprise des activités culturelles, nous craignons l’exode des talents et une perte d’expertise en musique qui pourrait avoir des répercussions à plus long terme», estiment les signataires.

Lettre à la ministre Nathalie Roy

L’écosystème musical professionnel québécois se distingue par son esprit d’initiative et son autonomie. La SOPROQ indique d’ailleurs que 80 % de ses membres agissent à titre d’autoproducteurs de leurs projets. Aujourd’hui, l’acte de création, la polyvalence et l’organisation du travail sur une base contractuelle plus ou moins éphémère sont inhérents à la profession des musiciens, ce qui justifie l’importance que les établissements d’enseignement universitaire modernes doivent y accorder. C’est donc en cohérence avec la réalité du travail en musique que nous formons une relève également compétente en entrepreneuriat musical.

Cela signifie qu’en plus d’être hyperqualifiés pour la prestation scénique ou pour la composition d’œuvres originales, la musicienne et le musicien d’aujourd’hui s’impliquent dans la gestion, la production, la logistique, la réalisation, la création de contenu original, la diffusion, les communications, etc.

En tant que chercheurs et professeurs en professionnalisation de la musique, nous sommes préoccupés par le fait que certains étudiants se demandent s’il vaut encore la peine d’entreprendre une carrière dans le domaine de la culture et des arts.

Depuis près de deux ans, ces personnes ont innové dans leurs pratiques, se sont adaptées aux contextes changeants et ont su se réinventer à maintes reprises. En dépit de cette grande résilience, elles sont à même de constater les nouveaux défis qui les attendent. En effet, la Guilde des musiciens et musiciennes du Québec rapporte qu’en février 2021, au creux de la deuxième vague de la pandémie, 69 % des musiciens professionnels exerçaient moins du quart de leurs activités habituelles. Parmi eux, 26 % ne pouvaient même pas travailler. La réouverture prochaine des salles de diffusion apporte un vent d’espoir. Cependant, étant donné que les spectacles prévus sont généralement ceux déjà reportés de 2020-2021, il reste très peu d’espace pour programmer les concerts ou les spectacles des musiciens nouvellement diplômés.

Sécurité financière de l’artiste

À cela s’ajoute un manque de reconnaissance du statut professionnel et de sécurité financière de l’artiste. Il en résulte que plusieurs étudiants déclarent vivre de la détresse psychologique, à l’instar de ce qu’éprouvent leurs collègues professionnels. Plusieurs doutent de leur avenir malgré le fait que leur formation universitaire les rend plus aptes que jamais à conduire la révolution numérique et à façonner le milieu musical de demain. Et si certains ne sont pas prêts à abandonner leur carrière en devenir, d’autres sont en réflexion.

Si rien n’est fait dès à présent pour intégrer la relève dans la reprise des activités culturelles, nous craignons l’exode des talents et une perte d’expertise en musique qui pourrait avoir des répercussions à plus long terme. Il serait extrêmement regrettable et dommageable de perdre de futurs créateurs de ce milieu en transformation. Nos jeunes musiciennes et musiciens ont les idées, les outils, l’énergie et la créativité nécessaires pour que le Québec de demain rayonne par sa culture, son entrepreneuriat et son innovation.

Pour citer le poète Gaston Miron, faisons en sorte que « nous ne sommes pas revenus pour revenir, mais que nous sommes arrivés à ce qui commence ». Nous espérons qu’enfin la réalité professionnelle des musiciennes et des musiciens sera reconnue à sa juste mesure par le gouvernement. Il faut mettre en place des structures favorisant la contribution de la relève au développement d’une culture forte et pérenne. Nous travaillons déjà dans ce sens et nous sommes prêts à partager notre vision pour que la musique soit reconnue comme une vraie profession.

*Cette lettre est cosignée par :

Jean Boivin, Robert Ingari, Annick Lessard, professeur(e)s titulaires de l’École de musique de l’Université de Sherbrooke ; Jacinthe Harbec, professeure associée de l’École de musique de l’Université de Sherbrooke ; Marc Bonneau (batteur et chef), Andy Bourgeois (compositeur), Jonathan Dagenais (chef, compositeur), Nathalie De Grâce (clarinettiste), Benoît Desrosby (bassiste), Samuel Desrosiers (compositeur), Chantale Dodier (saxophoniste), Maxime Fortin (compositeur), Jean-François Gagnon (trompettiste), Thierry Gauthier (compositeur) Jonathan Gearey (guitariste), David Gelfand (contrebassiste), Jean-Fernand Girard (pianiste), Maxime Goulet (compositeur), Benoît Groulx (compositeur), Dimitri Lebel-Alexandre (guitariste), Robert Marcel Lepage (compositeur), Carmen Picard (pianiste), Thierry Pilote (compositeur), Marilène Provencher-Leduc (flûtiste), Philippe Turcotte (claviériste et chef), chargé(e)s de cours de l’École de musique de l’Université de Sherbrooke. 

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