La fiscalité pour diminuer la spéculation

Depuis des années, les grandes villes sont sous pression, car tous les citoyens qui le désirent ne sont pas en mesure de louer ou d’acheter un logement décent. Les prix sur le marché immobilier résidentiel s’emballent, laissant sur la touche un nombre croissant de gens désireux d’acheter un logement.
Pour faire baisser la pression immobilière, les gouvernements doivent soutenir davantage la construction de logements abordables, mais aussi calmer la spéculation sur le marché immobilier. Pour y arriver, les gouvernements, qui préparent actuellement leurs budgets, devraient envisager sérieusement des modifications fiscales afin de diminuer la spéculation.
La première modification concerne le traitement du gain en capital. Lorsqu’une personne vend un actif, comme un logement, plus cher que le prix payé, seule la moitié du gain en capital (différence entre le prix d’achat et de vente) est incluse dans le revenu imposable. Initialement, cette mesure avait pour but de reconnaître l’impact de l’inflation dans la hausse des prix des actifs, ce qui est pertinent si une personne conserve son actif pendant de nombreuses années.
Toutefois, la demi-imposition s’applique aussi si une personne ne détient un actif que durant six mois, ce qui est absurde ! Cette façon de faire privilégie en effet les spéculateurs.
Afin de diminuer la spéculation, les gouvernements devraient donc modifier l’imposition des gains en capital. Cela contribuerait à assagir le marché immobilier. Appliquée uniformément aux autres types d’actif comme les valeurs mobilières, une telle mesure pourrait aussi éviter que les entreprises cotées en Bourse sentent toujours la pression de devoir être performantes à court terme. Enfin, diminuer les incitatifs à la spéculation peut inciter davantage les gens à travailler, ce qui contribuerait à réduire la pénurie de main-d’œuvre à laquelle fait face l’économie québécoise dans le contexte du vieillissement de la population.
Commission Godbout
En 2015, la Commission d’examen sur la fiscalité québécoise (commission Godbout) avait abordé le problème que nous soulevons. La Commission a proposé d’éliminer l’imposition partielle et de plutôt imposer le gain en capital en tenant compte de l’inflation. Par exemple, l’Indice des prix à la consommation ayant augmenté d’environ 7 % entre 2016 et 2020, 93 % du gain en capital d’un actif détenu sur cette période serait considéré comme un revenu imposable. Selon cette commission, pour les actifs détenus depuis moins d’un an, le gain en capital devrait « être imposé comme n’importe quel autre revenu », comme c’est déjà le cas aux États-Unis. Contrairement au Canada, plusieurs pays membres de l’OCDE tiennent compte de la durée de la détention des actifs ou de l’inflation pour déterminer la part du gain en capital imposable.
La deuxième mesure pertinente concerne la non-imposition du gain en capital sur les résidences principales. La commission Godbout suggérait notamment que l’exemption sur le montant cumulatif de gain en capital sur la résidence principale soit limitée à un million de dollars durant toute la vie du contribuable, montant indexé au cours des ans. Tout gain en capital excédant cette somme serait imposé entièrement, comme pour une résidence secondaire.
Nous pensons que ces mesures contribueraient à réduire la spéculation immobilière, comme celle se produisant lors de flips de résidences principales. Ces mesures auraient aussi l’avantage de ne pas nuire aux particuliers qui voient l’investissement immobilier comme un moyen de se bâtir une certaine richesse à long terme, comme avec l’achat d’un plex.
On peut se demander si les gouvernements veulent vraiment améliorer la situation, compte tenu du fait que le dossier traîne depuis des années. Les modifications que nous proposons réduiraient la spéculation, mais auraient aussi l’avantage de contribuer à réduire les inégalités.
Sans les mesures proposées, il y a fort à parier que la crise du logement ne se résorbera pas à court ou à moyen terme.
* Autres signataires : Louise Lavoie et Marie-Hélène Legault, économistes et chargées de cours à l’ESG UQAM