Le récit médiatique des JO de Pékin

Il faut souhaiter que les autorités chinoises perdent le contrôle exclusif du récit de ces Jeux et que celui-ci ne se résume pas à une liste de médailles, conclut l'auteur.
Photo: Jade Gao Agence France-Presse Il faut souhaiter que les autorités chinoises perdent le contrôle exclusif du récit de ces Jeux et que celui-ci ne se résume pas à une liste de médailles, conclut l'auteur.

Les Jeux olympiques sont des moments forts pour la diplomatie et les récits produits sur les pays hôtes. Dans le cas de la Chine, les JO d’été de 2008 à Pékin voulaient souligner l’intégration du pays dans les instances internationales et son ouverture sur le monde, tandis que les JO d’hiver cette année vont se dérouler dans un contexte glacial que la pandémie et son lieu d’origine supposé n’expliquent qu’en partie. Comment en est-on arrivé là ?

Il faut d’abord se rappeler que, malgré les récits produits à l’époque, les Jeux de 2008 se sont déroulés dans un contexte qui n’était pas des plus apaisés. Ils marquaient une perte d’influence des États-Unis, qui ne soutenaient pas le choix de la Chine comme pays hôte. Cette sélection fut également critiquée par de nombreuses ONG qui soulignèrent le manque de libertés civiles dans le pays. Les insurrections se déroulant en zone tibétaine juste avant la tenue des Jeux et la répression qui s’ensuivit transformèrent le parcours de la flamme olympique en théâtre de manifestations contre le régime chinois.

Malgré ces circonstances, ces Jeux ont été un succès pour la Chine. Premier pays au tableau des médailles, les autorités ont surtout réussi à éclipser de la majorité des récits médiatiques internationaux les aspérités pourtant existantes. On n’a que très peu mentionné le déplacement de la population vivant sur le site du village olympique vers une décharge du nord de la ville, tout comme la campagne de « bons comportements » à adopter devant des étrangers, le spectacle restant parfaitement maîtrisé par les autorités de l’époque. En sera-t-il de même cette année ?

Contrairement à 2008, les manœuvres des États-Unis vis-à-vis de la Chine sont maintenant affichées publiquement. Ce changement s’explique par le fait que la Chine n’est plus un concurrent théorique. Elle cherche désormais activement à réformer les organisations internationales en multipliant les instances parallèles ; elle investit massivement dans l’expansion de son modèle idéologique et technologique sur l’ensemble de la planète par le truchement du projet pharaonique des « nouvelles routes de la soie » ; elle conclut de nombreux accords économiques bilatéraux et adopte des sanctions économiques ciblées dont l’Australie est sans doute la victime la plus exemplaire.

De plus, la mise en service de la base militaire chinoise à Djibouti et la militarisation de plusieurs îlots en mer de Chine méridionale, ou encore les opérations de plus en plus fréquentes dans l’espace aérien taïwanais, ne font que confirmer les velléités que la Chine affiche, notamment avec la diplomatie dite des loups combattants, une approche agressive que ses fonctionnaires adoptent depuis quelques années.

À l’interne, la société civile (dont les journalistes) a été complètement mise sous tutelle au cours des dernières années, à force d’exemples chocs tels que les disparitions d’opposants et les excuses publiques. Cette réalité s’impose également à Hong Kong, où l’autocensure des habitants devient la norme dans la foulée de son annexion progressive.

En ce qui concerne les minorités, le Xinjiang se couvre de camps de concentration et de travail forcé, ce qui oblige les démocraties libérales à mettre en place des mesures coercitives qui restent néanmoins homéopathiques pour le moment. Ce traitement discriminatoire dépasse les questions des minorités nationales ouïgoure, tibétaine ou mongole, comme le montrent les discours idéologiques concernant les minorités sexuelles ou religieuses.

Pourtant, et contrairement à 2008, les sociétés civiles occidentales restent étrangement aphones, comme si elles s’étaient désensibilisées des problèmes lointains. La contestation s’affiche parfois de manière inappropriée et injuste, notamment par des actes antichinois à la faveur de la pandémie actuelle, transformant les personnes d’origine asiatique en responsables des actes politiques posés là-bas.

Quatorze ans après les JO d’été à Pékin, quel sera cette fois-ci le contenu du récit médiatique ? Les journalistes étrangers seront étroitement surveillés sous le prétexte de la pandémie et de la gestion « zéro COVID » menée par les autorités locales. D’ailleurs, il ne revient ni aux journalistes sportifs ni aux athlètes de décrire les défis nombreux que pose le gouvernement chinois aux démocraties libérales. Il ne leur incombe pas non plus de déconstruire le récit du « modèle chinois », vantant le développement et la prospérité économique grâce à son système politique autoritaire (et de plus en plus totalitaire), alors que les inégalités produites sont de plus en plus béantes.

Malgré cela, il faut souhaiter que les autorités chinoises perdent le contrôle exclusif du récit de ces Jeux et que celui-ci ne se résume pas à une liste de médailles.

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