Donner des doses périmées pour se sentir mieux

«Le Nigeria a ainsi dû détruire, à la mi-décembre, plus d’un million de doses du vaccin d’AstraZeneca qui devenaient périmées quelques jours plus tard seulement après leur réception», écrit l'autrice.
Photo: Olamikan Gbemiga Associated Press «Le Nigeria a ainsi dû détruire, à la mi-décembre, plus d’un million de doses du vaccin d’AstraZeneca qui devenaient périmées quelques jours plus tard seulement après leur réception», écrit l'autrice.

Maïka Sondarjee est professeure à l’École de développement international et mondialisation de l’Université d’Ottawa. Son premier essai s’intitule Perdre le Sud (Éditions Écosociété, 2020).

En cas de pénurie de doses disponibles, seriez-vous prêts à vous faire injecter un vaccin périmé ? Les populations du Nigeria, du Malawi et du Soudan du Sud répondent par la négative, et avec raison.

Depuis le début de la pandémie, l’Europe, les États-Unis et le Canada sont montrés du doigt pour leur manque de solidarité avec les pays du Sud. Plutôt que de considérer les vaccins comme une ressource commune, les pays qui en ont les moyens financiers accaparent les doses selon l’approche du chacun-pour-soi. Devant les critiques des scientifiques et de la communauté internationale sur le manque d’équité vaccinale, ces pays ont commencé à redistribuer des doses qu’ils avaient achetées en surplus, comprenant (un peu tard) qu’il faut vacciner tout le monde si on veut s’en sortir. Et que « tout le monde » ne s’arrête pas aux frontières.

Le problème est le suivant : plutôt que d’être livrées directement des usines aux pays qui en ont besoin, ces doses passent du temps dans des entrepôts européens, canadiens ou européens avant d’être envoyées en Afrique, au Moyen-Orient ou en Asie. Quand on stocke ainsi les doses avant de les redistribuer, celles-ci approchent de la date de péremption lorsqu’elles sont finalement données.

Le Nigeria a ainsi dû détruire, à la mi-décembre, plus d’un million de doses du vaccin d’AstraZeneca qui devenaient périmées quelques jours plus tard seulement après leur réception. La population nigériane avait peur, avec raison, de se faire injecter des vaccins périmés, et le gouvernement les a détruits publiquement pour rassurer ses citoyens.

Vaccins versus vaccinations

 

Bien que les pays à revenus élevés s’en félicitent très publiquement, donner des millions de doses de vaccin ne veut pas dire que cela donnera lieu à des millions de vaccinations. Il faut beaucoup plus que des vaccins pour opérer une campagne de vaccination.

Il faut pouvoir entreposer les vaccins dès leur arrivée dans un pays, et plusieurs d’entre eux nécessitent des réfrigérateurs spéciaux, qui les gardent à une température très basse. Il faut également pouvoir transporter ces vaccins par avion, par train ou par la route vers les différents sites d’injection. Il faut également avoir des professionnels de la santé disponibles et capables de se rendre sur les lieux de vaccination afin d’injecter les vaccins.

Le gouvernement du Nigeria, qui se trouve sur un continent au taux de vaccination d’environ 2 %, appelle les pays occidentaux à utiliser la coordination internationale orchestrée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) plutôt que d’envoyer des doses de manière sporadique.

Se donner bonne conscience

 

L’impossibilité de gérer des flux inconstants de vaccins ne vient pas d’un manque de capacités de la part de pays du Sud. Beaucoup de gouvernements, comme au Nigeria, ont plus d’expérience que le Canada dans l’organisation des campagnes de vaccination à grande échelle. Mais sans pouvoir prévoir l’arrivée de nouvelles doses, il est difficile de s’organiser correctement.

En se procurant des doses directement auprès des compagnies, Ottawa peut connaître des semaines, voire des mois à l’avance, le calendrier de livraisons des doses. Les doses qui sont « données » aux pays du Sud, quant à elles, peuvent arriver à l’improviste, quelques jours ou une semaine seulement avant leur date de péremption.

Il est donc impossible, dans ces conditions, de bien planifier une campagne de vaccination, et cela donne l’impression que les pays bénéficiaires de ces dons n’ont pas les capacités de les mener. Cela confirme des mythes persistants, tout en donnant aux pays qui redistribuent des doses de vaccin une bonne conscience. Les gouvernements occidentaux s’endorment l’esprit tranquille, mais ils continuent de creuser le fossé des inégalités vaccinales.

Le mot d’ordre est donc une meilleure prédictibilité de l’approvisionnement. Pour ce faire, il faut passer par l’OMS, notamment par l’initiative COVAX, qui fait affaire avec des organisations régionales, comme l’Union africaine et son African Vaccine Aquisition Trust (AVAT). En novembre dernier, AVAT et l’OMS critiquaient déjà le fait que les vaccins redistribués avaient un temps de vie très limité.

Il ne faut pas donner « pays par pays », mais commander des doses à l’avance qui seront distribuées en temps et lieu par les agences internationales. Le Canada prévoit actuellement de passer par COVAX, et il a déjà distribué près de la moitié des 200 millions de doses promises aux pays du Sud. COVAX a d’ailleurs reçu en décembre 300 millions de doses de vaccin, soit le tiers de ce qu’elle a reçu dans toute l’année 2021. Mais depuis le début de la vaccination, les trois quarts des doses administrées l’ont été dans des pays à revenus moyens-élevés à élevés. Il faut également partager la recherche et les technologies pour favoriser la vaccination plutôt que de simplement distribuer les vaccins.

Dans le meilleur des mondes, les compagnies pharmaceutiques ne vendraient pas au plus offrant, en suivant des règles capitalistes de profits illimités, mais considéreraient les vaccins comme un bien public mondial. Et les gouvernements penseraient à long terme plutôt qu’à court terme dans leur plan de sortie de crise. Mais, au stade actuel, on peut toujours espérer.

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