Exposer sa progéniture sur les réseaux sociaux

Conséquence de la présence grandissante des technologies numériques, on assiste depuis quelques années à l’accroissement du partage d’informations personnelles en ligne. Dès lors que les parents diffusent des informations sur leurs enfants, ils le font, bien souvent, sans leur consentement. Dans le cyberespace, ces renseignements personnels peuvent être visualisés et repartagés à l’insu des personnes visées (Grenier et Sapp, 2009, p. 314). Une naissance, une partie de soccer, un problème de comportement, un anniversaire… Tout peut devenir un prétexte pour partager la vie de ses enfants. Ce phénomène du sharenting, amalgame des mots share, pour partage, et parenting, pour parentalité, n’est pas sans conséquences sur les droits de l’enfant, dont le droit à la vie privée, qui doit être protégé par les parents.
Selon l’autrice du livre Growing Up Shared, Sharon B. Steinberg, ce double rôle des parents offre aux enfants peu de protection au fur et à mesure que leur identité en ligne évolue et crée une forme de conflit. Les enfants pourraient d’ailleurs un jour être mal à l’aise en raison des informations qui ont été, des années plus tôt, partagées par leurs parents sur Internet.
Des Idées en revues
Chaque mardi, Le Devoir offre un espace aux artisans d’un périodique. Cette semaine, nous vous proposons une version abrégée d’un texte paru dans la revue Droits et libertés, automne 2021-hiver 2022, volume 40, no 2.Au Québec, la Charte des droits et libertés de la personne s’applique aussi aux enfants et accorde à toute personne le droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation ainsi qu’au respect de sa vie privée. Selon la Cour suprême, la protection accordée à la vie privée vise à garantir une sphère d’autonomie individuelle relativement à des décisions personnelles. Il y a d’ailleurs violation de ce droit lorsqu’une image est publiée sans le consentement de la personne et que celle-ci peut être reconnue sur la photo. Ce droit à la vie privée doit être mis en parallèle avec les autres droits fondamentaux, notamment, dans le cas qui nous occupe, la liberté d’expression des parents. De plus, en vertu des règles civiles, tout enfant a le droit à la protection, à la sécurité et à l’attention de ses parents. Toutes les décisions qui le concernent doivent être prises dans son intérêt.
En tant que titulaire de l’autorité parentale, le parent a le droit de publier des photos de son enfant sur les réseaux sociaux, mais il devrait éviter de compromettre son image, son intérêt et sa vie privée. En effet, le partage de photos en ligne devrait comprendre une forme d’obligation morale d’agir avec parcimonie, en valorisant la sécurité et le bien-être de l’enfant.
À l’heure actuelle, la jurisprudence canadienne n’est pas assez abondante pour offrir des balises claires sur la question de ce « surpartage ». Comme pour tous les enjeux associés au numérique, la perspective à adopter ne devrait pas être moralisatrice ou accablante. Un discours sans nuances ne permet pas de tenir compte des bénéfices réels que peuvent procurer les réseaux sociaux aux parents d’aujourd’hui, ne serait-ce que pour donner plus aisément des nouvelles de leurs enfants à leur entourage. La rétroaction reçue est souvent bénéfique pour les parents, et même pour les enfants, dans le cas où le partage concerne des œuvres artistiques, des performances sportives ou d’autres événements positifs. Or, malgré ces bons côtés, un encadrement doit être défini afin que les risques de compromettre la vie privée de l’enfant soient évités.
À ce propos, la professeure Steinberg propose quelques solutions. D’abord, les parents devraient se familiariser avec les politiques de confidentialité des sites en sélectionnant un auditoire précis pour certaines publications comme un « groupe privé » ou en ajoutant un mot de passe pour une photo à caractère privé. Ensuite, les parents qui font des publications fréquentes sur leurs enfants peuvent configurer leurs notifications pour être alertés lorsque le nom de leur enfant apparaît dans un résultat de recherche. De plus, les parents devraient envisager de partager le contenu sans exposer leurs propres noms, celui des enfants ou même l’emplacement réel. Lorsque la capacité de discernement de l’enfant le permet, les parents devraient prioriser l’écoute et l’obtention de l’avis de leur enfant quant aux limites à ne pas franchir, favorisant ainsi le sentiment d’autonomie de l’enfant, le respect de son consentement et le développement d’une estime de soi positive.
Finalement, pour éviter toutes conséquences criminelles, les parents devraient s’abstenir de partager des photos qui montrent leurs enfants partiellement ou totalement déshabillés, en maillot de bain par exemple. Même si ce dernier conseil semble évident, il serait aisé de trouver dans nos propres fils d’actualité des photos qui ne respectent pas cette consigne élémentaire.
En somme, les écrans numériques font maintenant partie de la vie des familles, et il importe d’en faire un usage conscient et réfléchi.
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