Cri du coeur

«L’école est certes un lieu pour apprendre, mais c’est aussi un endroit important pour interagir avec autrui, s’impliquer. Et, pour certains, elle est une échappatoire», conclut Mme Beaulé.
Photo: Catherine Legault Le Devoir «L’école est certes un lieu pour apprendre, mais c’est aussi un endroit important pour interagir avec autrui, s’impliquer. Et, pour certains, elle est une échappatoire», conclut Mme Beaulé.

Ce matin, en lisant le journal, je vois ceci : « Les écoles secondaires, les cégeps et les universités amorceront 2022 avec de l’enseignement à distance pour au moins une semaine. » Mon moral, moi qui viens tout juste d’entamer mes vacances, commence dès lors à vaciller. La fin de session est moins dure pour lui que le fait de savoir que nous revenons quasiment à la case départ. En mars 2020, nous étions censés être en confinement pour deux semaines. Vu que la situation ne s’améliorait pas, ce n’est qu’en automne 2021 que nous avons pu reprendre l’école en présence à temps plein.

J’ai du mal à lire le reste du journal. Mon esprit est resté à cette page qui annonce sans grande émotion que la vie redeviendra virtuelle.

Je suis déchirée. D’une part, j’ai conscience que le variant Omicron et la hausse des cas de COVID-19 menacent de saturer les hôpitaux. Je sais que ce n’est que par un effort collectif que nous pourrons freiner la contamination. Je suis également au courant que les infirmières et les infirmiers sont fatigués.

D’autre part, cependant, j’appréhende l’école en ligne. Cette perspective me déprime. Une sensation dérangeante d’absurdité m’envahit à force d’être devant mon ordinateur à longueur de journée. La vie est si éphémère, et ça m’angoisse de penser que, dans dix ans, quand je repenserai à ce que j’ai vécu en passant de l’adolescence à l’âge adulte, je me souviendrai parfaitement de mon écran. Dans tous les cas, nous allons mourir un jour, c’est une fatalité de la condition humaine. Pourquoi nous cacher de cela quand la mort finit par nous rattraper, et ce, peu importe la cachette que nous trouvons pour essayer de lui échapper ?

Avant le relâchement des consignes liées à la COVID-19, j’ai eu une phase de déprime. Je n’avais pas faim au dîner, l’imminence de la mort m’angoissait et la solitude me rendait profondément mal à l’aise. Quand l’été est arrivé et qu’il y a eu moins de cas de contamination, j’ai retrouvé l’énergie qui s’était échappée de mon corps. Je travaillais à temps plein, j’ai rencontré des personnes, j’étais rarement assise. Au cégep, avant les vacances d’hiver, j’ai trouvé ma place dans le cercle de philosophie, le comité vert, l’association étudiante, le sport, mes lectures et mes amitiés.

Cependant, ce matin, quand j’ai appris que l’école va reprendre à distance pour « au moins une semaine », le nuage qui s’était dissipé durant l’été est réapparu. À quoi bon apprendre, à quoi bon former des rouages prêts à sauter dans le monde du travail si c’est pour nous couper des interactions sociales ? À quoi bon s’isoler chacun dans son coin, amplifiant ainsi l’individualisme présent dans notre société ? Je suis consciente de tous les problèmes que la COVID-19 provoque dans le système de santé. Ils sont graves et je n’ose pas imaginer ce qui se passerait si nous arrivions à une saturation des places pour les hospitalisations. Il faudrait faire des choix, ce qui est difficile et tabou. Par contre, je ne veux pas cacher mon état mental, qui est celui de beaucoup de jeunes face aux nouvelles restrictions. L’école est certes un lieu pour apprendre, mais c’est aussi un endroit important pour interagir avec autrui, s’impliquer. Et, pour certains, elle est une échappatoire.

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