Les femmes doivent toujours rester vigilantes

« N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. » Simone de Beauvoir
Eh bien, nous y sommes dans cette crise religieuse et politique. Une enseignante voilée à Chelsea, déplacée dans une autre fonction que l’enseignement parce qu’elle contrevient à la Loi sur la laïcité de l’État (« loi 21 ») qui interdit aux agents de l’État en position d’autorité de porter des signes religieux, fait ressurgir la fracture entre deux entités politiques et culturelles. D’ailleurs, la Commission scolaire Western Québec a violé la loi 21, en vigueur depuis plus de deux ans ; elle avait le devoir de vérifier, avant de l’embaucher, si l’enseignante s’engageait à ne porter aucun signe religieux pendant le travail, ce qui aurait évité de la retirer de la classe.
Encore une fois, le Québec doit affronter la vision anglo-saxonne de la laïcité et le déferlement d’accusations qui l’accompagne. Rappelons qu’il s’agit de deux traditions, deux conceptions de la séparation de l’État et des religions : la tradition française visait d’abord à empêcher les religions de s’immiscer dans les affaires de l’État, ce qui est l’essence même de la loi 21 sur la laïcité, tandis que la vision anglo-saxonne voulait protéger les religions de l’ingérence de l’État. Deux visions complètement opposées de la laïcité en découlent. Et cette fracture s’inscrit dans un ensemble de conflits politiques et socioculturels qui dépassent largement la question de la laïcité et le fait d’une enseignante voilée.
Au-delà de cet écheveau presque inextricable de conflits entre le Québec et le Canada anglais, il reste la question des femmes et de l’emprise de religions presque toutes sexistes et misogynes, qui comportent de nombreux moyens pour contrôler et assujettir les femmes, que ces religions soient chrétiennes ou issues de l’islam ou encore du judaïsme. Dans l’islam, dont il est question avec le hidjab de l’enseignante de l’école de Chelsea, de nombreux extraits du Coran confirment l’inégalité et la soumission des femmes par rapport à l’homme.
Nulle part dans le Coran il n’est recommandé ou obligatoire pour la femme de se voiler les cheveux, mais seulement de rabattre le voile sur sa poitrine. Cependant, c’est dans le Coran « où il est dit que les hommes peuvent battre leurs femmes au simple soupçon d’infidélité ou quand elles n’obéissent pas, où les femmes menstruées sont déclarées impures, où l’homme peut répudier sa femme, où le témoignage d’une femme ne vaut que la moitié de celui d’un homme, où le garçon recevra une part d’héritage qui sera le double de celui de la fille, où les hommes ont autorité sur leurs femmes du seul fait de la préférence de Dieu en leur faveur, où la virginité et la jeunesse des femmes sont considérées comme des valeurs très importantes, etc. »
Ce voile, loin d’être anodin, a causé l’emprisonnement de femmes qui refusaient de le porter en Iran, pays d’origine de l’enseignante voilée. Il a été présenté, à l’encontre de la loi 21, comme un marqueur de la modestie des femmes et le résultat d’un cheminement spirituel. La question se pose alors : pourquoi les hommes, que le Coran exhorterait à faire preuve eux aussi de modestie, ne concluent-ils pas que le port du voile est l’aboutissement de leur cheminement spirituel ?
Serait-ce que le voile est un signe religieux sexiste, car porté uniquement par les femmes, et qui est un marqueur identitaire de l’appartenance de la femme qui le revêt à un groupe précis, en l’occurrence religieux ?
On voudrait que l’on adhère au discours qui tantôt banalise le voile, en le ramenant à un simple bout de tissu, et tantôt l’associe à une croyance religieuse. Si la femme fait le choix d’être mutée dans une autre fonction que l’enseignement plutôt que de se départir de son voile pendant les heures de travail afin de respecter la liberté de conscience des enfants vulnérables et influençables de cette école, c’est sa croyance religieuse qui engendre la discrimination.
La loi sur la laïcité appuyée par la grande majorité de la population québécoise, quant à elle, impose aux personnes qui sont dans des positions d’autorité la même obligation de neutralité et ne discrimine ni un sexe, ni une religion et encore moins les femmes musulmanes. Ce sont celles qui interprètent leur religion dans le sens d’une obligation de porter le voile, ce qui est loin d’être le cas de toutes les musulmanes dans le monde et ici au Québec, qui s’auto-excluent des postes d’enseignement.
Les femmes doivent exercer leur vigilance pour éviter d’être utilisées dans des conflits politiques mettant en jeu le multiculturalisme anglo-saxon. De même, le choix politique de défendre la laïcité doit rester pour les femmes le fruit d’une adhésion, non pas à un parti politique, mais à un modèle de société qui défend l’égalité des femmes et des hommes et qui lutte contre l’obscurantisme visant à ramener la domination patriarcale.