Impliquer la société civile dans la poursuite des «filous»

«Rien n’empêche donc l’Assemblée nationale d’amender le Code et de renforcer ainsi la lutte contre la corruption en donnant aux citoyens une voix au chapitre dans la poursuite des
Photo: Catherine Legault Archives Le Devoir «Rien n’empêche donc l’Assemblée nationale d’amender le Code et de renforcer ainsi la lutte contre la corruption en donnant aux citoyens une voix au chapitre dans la poursuite des "filous"», écrit l'auteur.

Les Nations unies ont déclaré le 9 décembre « Journée internationale de lutte contre la corruption » afin de sensibiliser le public à un problème qui menace toutes les communautés humaines. Cette journée est l’occasion de rappeler que plus de 180 États membres ont signé la Convention des Nations unies contre la corruption depuis son adoption en 2003. Malgré tous ces engagements, la corruption demeure pourtant endémique à l’échelle mondiale. Plusieurs estiment qu’elle s’est même aggravée avec la COVID-19. Les États dépensent des milliards dans l’urgence et rendent leurs règles plus malléables afin d’accélérer l’achat d’équipements et le versement de prestations aux individus et aux entreprises. Le coronavirus a créé une « tempête parfaite », selon l’expression anglaise, pour les intérêts corrompus.

Cette convention des Nations unies appelle ses signataires à mettre en place des agences indépendantes pour combattre la corruption. C’est pourquoi des dizaines d’organismes semblables à l’Unité permanente anticorruption (UPAC) ont été créés par plusieurs gouvernements à travers le monde depuis les vingt dernières années. Des études récentes montrent que l’UPAC n’est pas seule à faire face au manque de confiance et aux critiques des politiciens et des médias.

Les agences anticorruption génèrent de très fortes attentes. Quand leurs enquêtes font l’objet de fuites ou échouent au test des tribunaux, les déceptions sont grandes. Lorsque leur travail touche des réseaux d’élites disposant d’amples ressources pour riposter, la réputation des agences anticorruption est mise à rude épreuve. Alors que ceux visés par les enquêtes peuvent mobiliser l’opinion publique et diffuser leurs versions dans les médias, les agences anticorruption doivent garder le silence. Elles peuvent plus difficilement cadrer l’histoire ou le narratif dans l’espace public.

Pour gagner leurs causes, les organismes comme l’UPAC doivent produire des preuves « hors de tout doute raisonnable » qu’un crime de corruption a bel et bien été commis. Mais les intentions corruptrices et la relation de causalité entre, par exemple, un contrat public accordé à une entreprise et du financement politique sont des faits sociaux difficiles à démontrer de façon objective. C’est précisément sur cette question que s’est divisée la commission Charbonneau dans son rapport final. La corruption est un crime d’abord politique et économique, et l’élément politique donne invariablement lieu à des interprétations rivales. La polarisation de l’opinion publique et un climat populiste associant les élites à la malversation aggravent les perceptions de la corruption.

Agir au nom de l’intérêt général

Le combat contre ce « cancer de la démocratie » n’est pas que l’affaire de l’État et de ses institutions. L’écosystème médiatique, les organisations non gouvernementales, les associations civiques ont tous un important rôle à jouer. Au Québec, le journalisme d’enquête a une solide tradition, et sa réputation est largement reconnue. Mais comparé à d’autres sociétés, le Québec est moins bien équipé pour lutter contre la corruption. En France, des règles adoptées en 2014 à la suite de la Loi sur la transparence de la vie publique accordent à des organismes reconnus, dont la section locale de Transparency International, le droit de déclencher l’action en justice en se constituant partie civile dans des causes de corruption.

Cette procédure permet à certains organismes de signaler des faits potentiellement délictueux au ministère public et de relancer des affaires classées sans suite. C’est ainsi que Nicolas Sarkozy a été contraint de comparaître comme témoin au procès des sondages de l’Élysée, que le président de l’Assemblée nationale a été mis en examen pour prise illégale d’intérêts et que les enquêtes ont été reprises concernant le secrétaire général de l’Élysée et de possibles conflits d’intérêts avec un armateur européen. Ces affaires couraient toutes le risque d’être enterrées si les associations anticorruption agréées (au nombre de trois) n’étaient pas intervenues.

Les décideurs politiques québécois aiment bien regarder du côté de la France, car ils croient que la connexion culturelle et historique entre les deux sociétés facilite « l’import-export » en matière d’institutions. Les règles qui permettent à la société civile française de se constituer partie civile dans les causes de corruption pourraient assez aisément être adoptées au Québec. En France, ces règles sont issues de l’article 2-23 du Code de procédure pénale. Au Québec, le Code de procédure pénale relève de la province. Rien n’empêche donc l’Assemblée nationale d’amender le Code et de renforcer ainsi la lutte contre la corruption en donnant aux citoyens une voix au chapitre dans la poursuite des « filous ».

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