La jeunesse qu’on exclut

«L’hystérie anti-
Photo: Relations «L’hystérie anti-"woke" qui s’est emparée du Québec (et d’autres pays occidentaux) témoigne bien de la crainte qu’inspirent une partie de la jeunesse actuelle et les valeurs qui lui sont associées — bien que ces dernières, de l’écologie à l’antiracisme en passant par la fluidité du genre, ne lui soient en rien exclusives», écrit l'auteur.

Si la jeunesse éternelle est une obsession contemporaine, ce fantasme a bien peu à voir avec les défis et les enjeux propres à cette période transitoire de la vie, remplie d’ambiguïtés et aux contours fluctuants. Dans les faits, il faut l’avouer, on se soucie peu de la jeunesse réelle. […] Celle, en somme, qui cherche sa place à tâtons dans le monde déroutant que nous lui transmettons.

Cette indifférence mâtinée d’inquiétude à l’égard de la jeunesse laisse souvent place à une crainte plus ou moins diffuse dès lors qu’il est question de celle qui peine à se conformer à la norme, de celle qui la refuse et la conteste ou de celle qui n’y est tout simplement pas incluse. Cette peur se nourrit de représentations négatives — du jeune membre de gang à la jeune fugueuse en passant par les jeunes wokes, trans ou non binaires — et sert trop souvent d’alibi à tout un attirail de moyens de contrôle tantôt subtils et placés sous le signe de la bienveillance, tantôt contraignants, voire carrément répressifs. Or, ce réflexe nous exempte collectivement d’une profonde remise en question concernant l’étroitesse de la voie qui mène à l’inclusion.

Des Idées en revues

Chaque mardi, Le Devoir offre un espace aux artisans d’un périodique. Cette semaine, nous vous proposons une version abrégée d’un texte paru dans la revue Relations, hiver 2021-2022, nº 815.

[…] [N]ombreux sont [pourtant] les exemples récents qui révèlent notre faillite à [cet] égard.

La commission […] Laurent en est un. Les multiples problèmes qu’elle a mis en lumière au sein du système censé protéger la jeunesse sont connus depuis longtemps — les principales solutions aussi —, mais la volonté politique de s’y attaquer réellement semble toujours faire défaut. La réponse timide du gouvernement caquiste au rapport Laurent l’illustre bien, comme le soulignent les chercheuses Jade Bourdages, Emmanuelle Bernheim et Mélanie Bourque dans [notre] dossier. Mais les constats critiques qu’elles dressent à l’égard du rapport lui-même sont aussi troublants. Trop peu entendus sur la place publique, ils lèvent le voile sur une forme d’aveuglement face aux causes structurelles des problèmes : la pauvreté, le classisme et le racisme — systémique ou ordinaire —, entre autres. […]

Le rôle de la police à l’égard des jeunes racisés ou autochtones est un autre problème très actuel, qui concourt à leur prise en charge pénale et à leur exclusion. La campagne électorale municipale qui vient de se terminer l’a bien montré. À écouter les principaux candidats, mais aussi la ministre de la Sécurité publique, la métropole québécoise serait assiégée par des bandes armées de jeunes Noirs, Arabes ou Hispaniques ayant perdu tout repère moral. Compte tenu de la méfiance que nourrissent ces représentations insidieuses à l’égard de l’ensemble des jeunes racisés — et en particulier au sein des corps de police —, on se serait attendu à un peu de retenue. Surtout, on n’observe que peu ou pas de recul critique concernant les sources de la violence et de la criminalité, et encore moins concernant le fait que les solutions policières promises risquent d’aggraver un profilage policier largement documenté. Les jeunes Noirs et racisés de certains quartiers risquent ainsi d’être encore plus ciblés pour des infractions qui n’ont rien à voir avec les crimes par armes à feu, ce qui alimente une dynamique qui les stigmatise, les judiciarise et les rend, au final, encore plus vulnérables au décrochage scolaire et au risque de tomber dans la criminalité.

Enfin, alors qu’elle devrait être le lieu où l’on vise à égaliser les chances pour tous les jeunes, quelle que soit leur provenance sociale, ethnique, voire géographique, l’école reproduit encore trop souvent les inégalités. La pandémie l’a cruellement exposé, les exigences du téléenseignement ayant d’emblée exclu les jeunes moins favorisés […]. Nombreux aussi sont ceux et celles qui dénoncent la ségrégation scolaire qui résulte du fait que le réseau privé et les écoles publiques à projet particulier se réservent les élèves les plus favorisés, laissant le réseau public ordinaire, déjà en manque chronique de ressources, absorber le nombre exponentiel d’élèves qui font face à des difficultés diverses.

Ces quelques exemples montrent à quel point les jeunes qui vivent déjà des difficultés et des situations d’exclusion naviguent dans un système fait d’institutions qui n’arrivent pas (ou très mal) à leur donner une chance et produisent de l’exclusion de manière systémique.

La gestion néolibérale qui prévaut dans nos services publics depuis quelques décennies y est certes pour beaucoup. […]

Mais cela montre aussi le rapport crispé et ambigu que notre société entretient avec la transformation sociale, que l’émergence des nouvelles générations incarne forcément, ne serait-ce que dans l’imaginaire. L’hystérie anti-woke qui s’est emparée du Québec (et d’autres pays occidentaux) témoigne bien de la crainte qu’inspirent une partie de la jeunesse actuelle et les valeurs qui lui sont associées — bien que ces dernières, de l’écologie à l’antiracisme en passant par la fluidité du genre, ne lui soient en rien exclusives. […]

[I]l faudra que nous ayons le courage de regarder dans le miroir grossissant que nous tend la jeunesse d’aujourd’hui, et en particulier celle qui nous confronte aux failles de notre modèle de société. Il y va de notre capacité collective d’affronter les défis […] de demain. Il y va, surtout, de la dignité et de la liberté de ces jeunes personnes.

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