Les musées sont appelés à se réinventer

«Ayant pris son essor au XVIIIe siècle, le musée partage alors des valeurs humanistes, favorisant le principe d’une mémoire civilisationnelle, essentiellement basée sur la culture occidentale», écrit l'auteur.
Photomontage: Le Devoir «Ayant pris son essor au XVIIIe siècle, le musée partage alors des valeurs humanistes, favorisant le principe d’une mémoire civilisationnelle, essentiellement basée sur la culture occidentale», écrit l'auteur.

Le musée ne suffit pas est le titre intrigant d’un livre publié en 2019, qui se veut le premier volet d’une réflexion collective amorcée par l’équipe du Centre canadien d’architecture concernant le rôle des institutions muséales et les défis à relever face aux « problématiques sociales contemporaines ». Quels enjeux privilégier lorsqu’il s’agit d’exposer des œuvres, sinon des archives ? Comment les aborder ? Que ce soient les musées d’art ou d’architecture, ne doit-on pas proposer au public une expérience sensorielle et intellectuelle qui soit autre chose qu’un simple divertissement ?

Ayant pris son essor au XVIIIe siècle, le musée partage alors des valeurs humanistes, favorisant le principe d’une mémoire civilisationnelle, essentiellement basée sur la culture occidentale. Bien que l’on puisse chérir cet héritage impressionnant, la situation mondiale actuelle incite plusieurs institutions muséales à déborder du cadre idéologique promu par la modernité. Sur le thème « L’avenir des musées : se rétablir et se réinventer », l’Association internationale des musées organisait, en mai 2021, un colloque dans lequel les professionnels du milieu étaient invités « à développer, à imaginer et à partager de nouvelles pratiques de (co)création de valeur ». En ce qui a trait aux musées d’art ou de civilisation, ce partage de nouvelles pratiques implique souvent un processus de décolonisation permettant une compréhension différente de l’histoire.

Des Idées en revues

Chaque mardi, Le Devoir offre un espace aux artisans d’un périodique. Cette semaine, nous vous proposons un texte paru dans la revue ESPACE art actuel, automne 2021, no 129.

Dans cette optique, le Musée d’art de Joliette présentait, du 3 octobre 2020 au 23 mai 2021, une exposition intitulée Regards en dialogue. Cette exposition mettait en lumière et actualisait la collection de bronzes offerte au musée par le collectionneur d’art A. K. Prakash, dans laquelle on retrouve plus d’une vingtaine de sculptures de Louis-Philippe Hébert (1850-1917), Marc-Aurèle de Foy Suzor-Coté (1869-1937) et Alfred Laliberté (1877-1953). Pour favoriser une « approche transhistorique », les co-commissaires Émilie Grandmont Bérubé et Anne-Élisabeth Vallée ont invité l’artiste Nicolas Fleming à produire une œuvre immersive dans laquelle le public pouvait découvrir les œuvres des sculpteurs. De plus, pour suppléer à la vision prétendument romantique du « bon sauvage » et donner un nouvel éclairage sur les figures héroïques du patrimoine québécois dépeintes par les artistes de l’époque, les commissaires ont demandé à trois membres de communautés autochtones de la région — Eruoma Ottawa-Chilton, artiste atikamekw, Roger Echaquan, oncle de Joyce Echaquan, et Nicole O’Bomsawin, anthropologue abénaquise — de commenter, par l’entremise de vidéos, l’idéologie qui sous-tend l’esthétique des artistes, façonnée par des stéréotypes culturels.

Offrir aux gens la possibilité d’admirer des œuvres sous un angle culturel différent est aussi ce qui a prévalu lors de l’exposition Rembrandt à Amsterdam. Créativité et concurrence, présentée cet été au Musée des beaux-arts du Canada (MBAC), et organisée conjointement avec le Städel Museum de Francfort. En plus de montrer certains chefs-d’œuvre du célèbre peintre Rembrandt van Rijn (1606-1669), la commissaire invitée, Stephanie S. Dickey, souhaitait transmettre aux publics le contexte sociopolitique de l’œuvre, qu’il soit économique, commercial ou colonial. Tout en admirant ses toiles, ses dessins et ses estampes dans un cadre de concurrence présentant des œuvres d’artistes contemporains, le public était également convié à situer la production artistique de l’artiste dans son propre contexte historique, soit celui de la traite des Noirs d’Afrique et des liens commerciaux et d’exploitation avec les Autochtones du Canada. D’ailleurs, pour « faire progresser la compréhension de la tradition européenne par une approche nouvelle et plus inclusive », des œuvres d’artistes autochtones et noirs contemporains qui appartiennent à la collection du MBAC ont également été présentées. Comme pour l’exposition de Joliette, on a demandé à trois personnes — Joana Joachim, historienne de l’art afroféministe, Gerald McMaster, directeur du Centre Wapatah pour le savoir visuel autochtone, et Rick Hill, artiste tuscarora — de livrer, par des textes, leurs points de vue sur le projet colonial de la République néerlandaise.

Dans le numéro d’automne de la revue ESPACE art actuel (dossier : « L’artiste muséologue »), il est aussi question d’activités commissariales associées aux collections, mais cette fois menées par des artistes. Plusieurs les interprètent pour en révéler un potentiel artistique inédit. D’autres, comme Julie Gough avec l’exposition Tense Past, présentée en 2019 au Tasmanian Museum and Art Gallery (Hobart, Australie), souhaitent plutôt réactiver un passé et proposer par la même occasion de nouveaux récits pouvant élargir les perspectives sur nos manières de voir. En s’inscrivant dans une pensée contextualiste et critique vis-à-vis d’une vision unique qui s’est imposée d’emblée par les institutions, ces artistes commissaires permettent ainsi aux musées de favoriser des discussions axées sur la diversité et l’inclusion.

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