Ce que la loi 2 échoue à comprendre

Il y a trois semaines, le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, a déclaré aux journalistes que le gouvernement n’exigerait plus de chirurgie pour changer la désignation du sexe sur les cartes d’identité gouvernementales, mais sa compréhension du sexe et du genre reste erronée dans le projet de loi 2. En tant que chercheurs possédant une expertise sur les questions de genre et de sexualité au Québec, nous remarquons que les amendements proposés à la loi 2 ne sont pas fondés sur des informations scientifiques ou sur des données probantes. Les changements légaux concernant ces questions devraient faire état de l’application des meilleures connaissances disponibles sur le sujet. Malgré la promesse de modifier le projet de loi, le gouvernement fait preuve d’un manque de compréhension des notions de sexe et de genre, ce qui pourrait porter préjudice à des populations déjà vulnérables, violer la liberté d’autodétermination et d’autonomie corporelle protégée par les droits de la personne, et créer des ajouts sur les documents gouvernementaux d’identification qui sont inutiles et n’apportent aucun bénéfice social.
Le langage employé dans le projet de loi 2 présente la distinction entre le sexe et le genre comme un problème devant être réglé par une désignation additionnelle du genre, séparant ainsi le sexe du genre sur les documents. Cet ajout constitue une simplification excessive où l’on interprète le sexe comme étant biologique et le genre, comme étant social. Or, tout comme dans les études du genre et de la sexualité, la recherche en sciences médicales démontre que la catégorisation du sexe est déterminée tant par les facteurs sociaux que par les facteurs biologiques.
Biologie
Prenons l’exemple des caractéristiques chromosomiques, hormonales et génitales utilisées pour l’assignation à un sexe. Un examen scientifique de ces caractéristiques permet d’observer un large éventail de traits qui ne se restreignent pas à deux catégories sexuelles et de conclure que la différence sexuelle est beaucoup plus ambiguë qu’une division stricte entre mâle et femelle. De fait, les scientifiques ont démontré que la notion de dimorphisme sexuel, c’est-à-dire l’interprétation des caractéristiques comme appartenant de manière dichotomique aux mâles ou aux femelles, est limitative. Puisque nos conceptions de sexe sont constituées à partir de nos conceptions de genre, l’ajout d’une marque d’identification additionnelle qui distingue le sexe du genre sur les documents gouvernementaux renforce l’idée erronée du sexe comme catégorie rigide et fixe. L’ajout d’une case pour désigner le genre pose également la question de la violation de la vie privée. La création de deux désignations aura pour effet de forcer les personnes trans, non-binaires et intersexes à une divulgation non consentie dans leurs milieux scolaires, médicaux, de travail et dans d’autres secteurs de la société civile.
La proposition initiale d’exiger la chirurgie pour pouvoir changer le sexe sur les documents officiels signale un manque de compréhension du sexe et du genre de la part du gouvernement. Cette dernière dénote une conception dépassée de la différence entre les sexes, puisque l’anatomie y est considérée comme homogène au sein des catégories « mâle » et « femelle ». Largement discréditée dans les cercles scientifiques, cette conception restreint les choix des médecins et des patients trans et non binaires en matière de soins médicaux visant à aligner l’anatomie sur l’identité de genre. Le problème se complexifie dans le cas d’enfants intersexes qui, selon les changements de loi proposés, devraient subir des chirurgies génitales afin d’obtenir une mention de sexe sur leurs documents officiels. Une telle exigence va à l’encontre des meilleures pratiques disponibles sur la santé intersexe. Les changements proposés risquent également d’ouvrir la voie à des formes légales d’ingérence en matière d’autonomie corporelle, au travers desquelles la génitalité et la capacité de reproduction font l’objet de législation au lieu de soins médicaux.
À partir des recherches de pointe sur le sexe et le genre ainsi que des données probantes de nature clinique, nous croyons que les pratiques médicales et légales devraient se concentrer sur la réduction des méfaits ainsi que sur un plus grand accès à l’autonomie corporelle et à l’autodétermination. Non seulement les changements légaux qui restreignent ces droits violent les principes de liberté et d’égalité inhérents à la société québécoise, mais ils imposent aussi des préjudices sociaux et médicaux sans aucune preuve de bénéfice. Les changements proposés ne font état d’aucune amélioration apparente de l’offre de service du gouvernement, ni de sa capacité à gérer des populations ou à colliger les données qui les concernent. En conséquence, nous recommandons fortement au gouvernement de choisir la voie causant le moins de préjudice, ce qui revient ni plus ni moins à maintenir le cadre législatif sur la question, tel qu’il est appliqué depuis 2015.
* Ce texte est cosigné par 220 professeurs et étudiants au Québec.