Le Canada est-il prêt à revoir sa politique étrangère?

Le Canada a donc changé pour la cinquième fois de ministre des Affaires étrangères depuis l’élection de Justin Trudeau il y a six ans. Stephen Harper a eu sept ministres en dix ans de pouvoir. Les titulaires de ce poste se succèdent à un tel rythme qu’on n’arrive plus à se souvenir de leur nom. De toute façon, à Ottawa et certainement dans le reste du monde, il y a longtemps que plus personne n’accorde la moindre considération au ministre en fonction puisque la politique étrangère est définie au bureau du premier ministre.
Il reste qu’en ces temps troublés, il faut redynamiser la politique étrangère canadienne. La nouvelle titulaire, Mélanie Joly, est une femme intelligente, mais avec une expérience internationale limitée. Elle s’installe à la tête d’un ministère où ses deux éphémères prédécesseurs, François-Philippe Champagne et Marc Garneau, avaient eux-mêmes hérité d’une diplomatie négligée par Chrystia Freeland, tout occupée à renégocier l’accord de libre-échange avec les États-Unis.
Un exercice difficile
La nouvelle ministre aura du pain sur la planche. Le Canada encaisse depuis une douzaine d’années de nombreux échecs diplomatiques, dont le plus spectaculaire a été son incapacité à se faire élire comme membre non permanent du Conseil de sécurité de l’ONU en 2010 et en 2020. Les relations avec la Chine, la Russie, l’Inde et, parfois, les États-Unis sont difficiles, pour ne pas dire conflictuelles. Des voix s’élèvent à travers le pays pour demander une révision de la politique étrangère afin d’établir des balises pour naviguer dans un environnement en pleine mutation où les positions des uns et des autres se durcissent.
L’exercice constituant à repenser la politique étrangère doit être vu comme la prise en considération de nouvelles réalités internationales en matière économiques, militaires et politiques et dont les effets touchent à tous les aspects des relations internationales. Il ouvre la porte à une reconfiguration du positionnement d’un État sur la scène internationale.
Ainsi, le Royaume-Uni s’est récemment livré à cet exercice, dont plusieurs estimaient qu’il s’imposait après le Brexit. Le premier ministre Boris Johnson était conscient du fait que la sortie du pays de l’Europe, ou du moins des institutions européennes, le forçait à repenser la place de son pays dans le monde. La Revue intégrée de politique étrangère dont son gouvernement a accouché en mars dernier répond à cet impératif. Comme son nom l’indique, ce document donne corps aux ambitions britanniques en matière de diplomatie, de sécurité, de défense et de développement. Le cap est fixé : diversifier les relations économiques, relancer le multilatéralisme, renforcer les alliances militaires et donner la priorité à la région indopacifique. La focalisation sur cette région a d’ailleurs trouvé sa première application concrète en septembre avec la signature d’une alliance militaire entre le Royaume-Uni, l’Australie et les États-Unis visant à contrer la montée de la Chine.
En France, la rivalité entre les États-Unis et la Chine, la perte d’influence des Occidentaux en Afghanistan, au Proche-Orient et en Afrique, le retour de la Russie et les divisions politiques et sociales au sein même de l’Union européenne suscitent des interrogations sur la place qu’occupe le pays sur la scène internationale. À droite comme à gauche, experts, diplomates, membres du personnel politique sont nombreux à suggérer une redéfinition de la politique étrangère afin de conserver à la France son statut de grande puissance européenne et mondiale. Michel Duclos, ancien diplomate et auteur de La France dans les bouleversements du monde, y va d’une suggestion radicale. Il faut, dit-il au quotidien Le Figaro, « prendre l’initiative d’une revue stratégique intégrée comme l’ont fait les Britanniques, c’est-à-dire d’une remise à plat de tous les aspects de la politique extérieure : diplomatie, défense, culture, géo-économie… C’est le seul moyen de repenser en profondeur notre positionnement stratégique au XXIe siècle ».
Une réflexion nécessaire
Le Canada a-t-il besoin d’aller aussi loin ? À première vue, non. Nous n’avons pas connu d’événement comme le Brexit. Nous ne sommes pas engagés dans une politique de puissance à l’échelle mondiale comme le sont les États-Unis ou la France. En même temps, le réalignement stratégique des États-Unis vers l’Asie et notre collision avec la Chine dans l’affaire Huawei ébranlent certaines de nos certitudes et imposent une réflexion sur notre diplomatie.
Ainsi, quoi qu’en dise Joe Biden, les États-Unis se détachent lentement de l’Europe. Ce découplage va placer les Européens devant leur responsabilité en matière de défense du continent. L’OTAN risque de s’étioler. Nous serons bientôt seuls face aux États-Unis. À Ottawa, a-t-on commencé à réfléchir aux conséquences de ce réaménagement ?
Il faudra aussi revoir notre relation avec la Chine, dont le comportement est de plus en plus brutal. Comment aborder le sujet ? Conservateurs et libéraux sont divisés sur la marche à suivre. Pourtant, nous ne sommes pas démunis intellectuellement face à cette situation. Il y a quelques jours, l’ancien premier ministre du Québec Jean Charest appelait les Canadiens à prendre acte du statut de superpuissance de la Chine et à trouver le moyen de s’en accommoder. Il affirmait que nous étions bien placés pour redéfinir nos liens avec la Chine compte tenu de notre expérience à gérer notre relation avec la superpuissance américaine.
La dernière révision de notre politique étrangère remonte à 2005, sous le règne de Paul Martin. Elle avait la même ampleur que celle du Royaume-Uni et elle reste d’actualité sur de nombreux aspects. Toutefois, compte tenu de tout ce qui précède et de bien d’autres questions, il serait plus que temps de reprendre l’exercice.