Les défis des femmes et de la diversité, un sujet oublié

Lors des deux débats des chefs, la cheffe du Parti vert, Annamie Paul, a offert un vibrant plaidoyer en faveur de la diversité des identités — de genre, de race ou LGBTQ+ — et de l’inclusion des regards, notamment ceux de membres des communautés autochtones, à la politique canadienne. Ce plaidoyer s’est toutefois perdu dans la cacophonie des échanges. La question de la diversité et du genre en politique reste donc un sujet oublié de cette campagne. En 2015, l’approche inclusive, multiculturelle et féministe de Justin Trudeau avait permis de discuter des enjeux de représentation des genres et des identités. La composition de son cabinet paritaire et diversifié avait fait la manchette, accompagnée de sa célèbre phrase : « Parce qu’on est en 2015 ! »
Près de six ans plus tard, la pandémie, les divisions causées par la vaccination et la popularité du Parti conservateur ont mis ces questions de diversité et d’inclusion à l’arrière-scène.
Qu’en est-il du portrait réel ? Et pourquoi miser sur la diversité en politique ? Du point de vue du portrait, il est intéressant de constater que, malgré le fait que les élections ont été déclenchées tôt, on retrouve un nombre record de candidats autochtones. Des analyses réalisées par La Presse canadienne indiquent que 77 candidats sont des membres des Premières Nations, des Inuits ou des Métis, contre 62 en 2019.
Le Groupe Femmes, politique et démocratie (GFPD) ainsi qu’Equal Voice ont aussi effectué un décompte des candidates pour chacun des partis. Leurs analyses montrent une légère croissance et une stabilisation des candidatures féminines et/ou issues de la diversité. Leur approche s’inscrit dans la foulée de l’intérêt pour les chiffres qui a suivi la Conférence mondiale sur les femmes de Pékin de 1995. Ces deux groupes militent pour la parité, mais travaillent aussi avec les candidates et les élues afin de les former au métier et afin de les équiper pour faire face aux défis politiques.
Plafond et falaise de verre
Parmi ces défis, on retrouve notamment le plafond de verre et la falaise de verre. Le premier terme désigne le fait que, dans certaines organisations hiérarchiques — dont les partis politiques —, les niveaux hiérarchiques supérieurs ne sont accessibles qu’à une catégorie de personnes — souvent les hommes blancs issus de l’élite. La falaise de verre, quant à elle, désigne la tendance à nommer des femmes à la tête d’organisations en crise, ce qui ne facilite pas leur succès.
Les candidates issues de la diversité doivent aussi affronter les stéréotypes et une double contrainte. Ces candidates font face à la redéfinition des rôles dans un contexte où la politique reste un domaine traditionnellement associé à la masculinité et à l’homme blanc hétérosexuel. La création de nouveaux modèles reste un défi de taille. La double contrainte reste forte alors que la redéfinition du rôle reste très encadrée.
Les recherches montrent notamment que, en ce qui concerne les perceptions, dans les institutions ou dans le traitement médiatique, les femmes élues issues de la diversité vont être ramenées à leur genre et à leur identité ou critiquées si elles s’en éloignent trop. La conformité reste très forte dans le milieu politique. De plus, il reste de nombreux stéréotypes au sein de la population en ce qui a trait à la présence des femmes en politique, et aussi en ce qui concerne les personnes issues de la diversité. Les études montrent notamment que les électeurs sont moins enclins à voter pour des femmes lorsqu’ils les perçoivent comme étant à la recherche du pouvoir, alors que les candidats masculins ne sont pas pénalisés s’ils font état de leur désir d’avoir du pouvoir.
Plusieurs types de représentation
S’enchevêtrent ici plusieurs approches interreliées de la représentation politique. L’importance d’une représentation descriptive où les élus partagent des similitudes sociodémographiques avec la population (ex. : âge, genre, identité). C’est là que les revendications pour la parité s’inscrivent notamment. Comme les femmes représentent 50 % de la population, elles devraient aussi participer à la politique dans la même proportion. S’ajoutent une composante substantielle où il est question de ce que font les élus et de ce qu’ils représentent, ainsi qu’une dimension symbolique liée à la perception des élus par les citoyens et au sentiment qu’ils ont d’être bien représentés.
Dans ce contexte, les études récentes nous amènent à prendre en compte, sous l’angle de l’intersectionnalité, les autres rapports sociaux (race, classe, éducation, identité) afin de mieux comprendre le rapport au politique. Justement, un projet de recherche subventionné par le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (subvention Savoir) dirigé par Joanna Everitt (dont je fais partie avec Angela Wagner et Karen Bird) vise à explorer les rapports entre le genre, l’identité et la politique afin de mieux comprendre le rôle de la représentation symbolique en politique et celle des affinités politiques.
Alors que l’approche des femmes leaders, notamment en Belgique et en Nouvelle-Zélande, a été encensée lors de la pandémie, il est pertinent de souligner le silence devant la représentation féminine et diversifiée lors de cette élection et de tenter de mieux comprendre comment les identités des candidats ont une influence sur l’engagement politique des électeurs qui partagent ou non ces affinités.