Repenser le combat contre le terrorisme

«Il faut revoir le logiciel de la lutte contre le terrorisme contemporain afin d’en concevoir un nouveau plus adapté à la menace», écrit l'auteur.
Photo: Murray Brewster La Presse canadienne «Il faut revoir le logiciel de la lutte contre le terrorisme contemporain afin d’en concevoir un nouveau plus adapté à la menace», écrit l'auteur.

L’auteur est chercheur au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM). Il a été conseiller politique du ministre des Affaires étrangères en 2016-2017. Il publiera le 24 août un ouvrage intitulé Le Canada à la recherche d’une identité internationale.

Les commémorations du 20e anniversaire des attentats du 11 septembre samedi dernier ont correspondu presque jour pour jour avec la reconquête de l’Afghanistan par l’un des acteurs de cette journée fatidique, les talibans. Les deux événements ont été amplement commentés depuis plusieurs semaines, avec un accent particulier sur la situation de l’Afghanistan. Une revue sommaire des articles d’information et des textes d’opinion publiés dans les médias occidentaux fait ressortir un double consensus : les faiblesses politiques, économiques, sociales et militaires de l’intervention occidentale dans ce pays depuis deux décennies et l’incapacité du gouvernement afghan à répondre à l’offensive talibane expliquent cette débâcle.

Au Canada, l’Afghanistan est venu hanter la population et les leaders politiques au milieu de la campagne électorale. Malheureusement, la discussion s’est focalisée sur une des péripéties de ce drame, l’évacuation des Canadiens et de leurs alliés afghans. Les débats des chefs ont porté deux ou trois minutes sur cet aspect accessoire de ce qui reste pourtant la plus importante intervention militaire canadienne depuis la guerre de Corée dans les années 1950. Les programmes des deux grands partis de gouvernement sont muets sur les leçons à tirer de l’Afghanistan.

Il faut bien le reconnaître, une campagne électorale se prête mal à un débat en profondeur sur une telle intervention. Les angles d’analyse sont nombreux, et il est facile de s’y perdre. Pour autant, la chute de Kaboul ouvrait une fenêtre d’opportunité pour discuter de la méthode employée par les Occidentaux pour intervenir dans ce pays, la « guerre » contre le terrorisme. On l’oublie trop souvent, mais l’objectif premier de l’invasion et de l’occupation de l’Afghanistan avait tout à voir avec l’élimination d’al-Qaïda et de ses alliés plutôt qu’avec une quelconque entreprise de « nation-building ».

Pour répondre aux attentats terroristes d’al-Qaïda, les Occidentaux ont mené une guerre totale où des centaines de milliers de militaires ont été déployés en Afghanistan afin de retrouver leurs auteurs et d’abattre le régime qui les accueillait. Cette guerre a aussi largement dépassé le cadre de ce pays puisqu’elle s’est transportée en Irak, où ses conséquences ont été désastreuses sur les plans humain et matériel, pour le pays et la région. Enfin, elle a donné naissance à toute une nébuleuse terroriste dont les tentacules touchent tous les continents. Bref, un marteau-pilon a été utilisé pour écraser une mouche qui s’est souvent révélée aussi insaisissable qu’efficace à s’adapter à l’environnement ambiant.

Interroger le passé

 

Ce résultat porte à réflexion. Le politologue québécois Jean-François Caron s’est livré à l’exercice. Dans un livre tout juste publié, L’Occident face au terrorisme, il s’interroge sur la stratégie adoptée depuis 20 ans par les Occidentaux pour lutter contre le terrorisme contemporain, un terrorisme d’une violence qui nous était jusqu’alors inconnue. Se pourrait-il, écrit-il, « que nous ayons commis l’erreur de croire qu’il était possible de vaincre cette menace, alors qu’elle ne peut, dans le meilleur des cas, qu’être contenue ? » Il en découle inévitablement une interrogation sur les méthodes employées. Est-il possible qu’elles « ne se soient pas révélées appropriées et que nous aurions dû envisager d’autres solutions plus efficaces et moralement supérieures ? »

Car il devient évident que la « guerre » contre le terrorisme a eu et a toujours des conséquences dramatiques sur le terrain, dans des dizaines de pays, tout en soulevant d’angoissantes questions éthiques et morales. À cet égard, Caron pose un jugement sévère sur l’ensemble de l’entreprise. Le recours à la guerre totale pour lutter contre le terrorisme actuel, écrit-il, « était une stratégie largement inefficace et immorale, mais aussi terroriste en elle-même en raison de son manque de discrimination entre ceux qui méritent de mourir et ceux qui, au contraire, ne doivent pas être la cible » de la violence des Occidentaux.

Il faut donc revoir le logiciel de la lutte contre le terrorisme contemporain afin d’en concevoir un nouveau plus adapté à la menace. Car Caron l’affirme, le terrorisme actuel est une vraie menace dont il faut correctement évaluer la létalité avant de définir une stratégie de combat. Il exclut les moyens pacifiques, inefficaces contre un acteur non étatique. Entre la diplomatie et la guerre totale, il y a une voie, celle des méthodes violentes autres que la guerre, c’est-à-dire l’emploi de moyens militaires dans le cadre d’un usage restreint et ciblé de la force armée.

On ne refait pas l’Histoire. On peut seulement en tirer des leçons pour lui donner un autre cours. C’est ce à quoi invite Jean-François Caron. Après les élections du 20 septembre, le prochain gouvernement et les partis d’opposition nous doivent de lancer la discussion sur la façon de mener le combat contre le terrorisme contemporain, car, c’est une certitude, il y aura d’autres attentats, d’autres foyers d’infection qu’il faudra prévenir ou réduire avec les bons outils.

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