Pourquoi ignorent-ils l’ONU?

«La relation avec l’ONU est un symbole fort pour les Canadiens, une façon de se distinguer des États-Unis, d’échapper en partie à son emprise», écrit l'auteur.
Photo: Nicholas Roberts Agence France-Presse «La relation avec l’ONU est un symbole fort pour les Canadiens, une façon de se distinguer des États-Unis, d’échapper en partie à son emprise», écrit l'auteur.

L’auteur est chercheur au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM). Il a été conseiller politique du ministre des Affaires étrangères en 2016-2017. Il vient de publier un ouvrage intitulé Le Canada à la recherche d’une identité internationale.

Les programmes de politique étrangère et de défense des deux grands partis de gouvernement sont étonnants de similitude sur l’ONU : ils se rejoignent sur la disparition presque complète de toute référence aux Nations unies comme un des piliers de la sécurité et de l’action internationale du Canada. Jamais sans doute dans l’histoire diplomatique du pays depuis 1945 cet abandon n’aura été aussi clairement affiché.

Les conservateurs, ceux à la sauce Stephen Harper, ont toujours détesté les Nations unies. L’ancien premier ministre prenait un malin plaisir à la dénoncer comme une assemblée de dictatures. Il préférait les relations bilatérales au multilatéralisme, un exercice qui demande des qualités de diplomate dont son gouvernement manquait cruellement.

Le programme électoral d’Erin O’Toole sur l’ONU va dans le même sens, même s’il ne craint pas la contradiction. Reprenant la rhétorique de Harper, un futur gouvernement conservateur ne cédera pas « devant les priorités des dictateurs et des despotes » aux Nations unies, peut-on lire. Pourtant, comme on peut le lire dans la plateforme du parti, cela ne l’empêchera pas de nouer d’excellentes relations avec des dictatures en Asie et en Afrique.

Les conservateurs promettent plutôt de « traiter en priorité les intérêts et les valeurs du Canada » aux Nations unies, ce qui n’est pas tout à fait le sens exact de la participation d’un État à une organisation internationale. Le multilatéralisme est le lieu de la concertation et du compromis.

Enfin, nulle part dans le programme n’est-il fait mention d’une éventuelle participation aux opérations de paix, qui sont, faut-il le rappeler, la fonction principale de l’ONU sur les questions de paix et de sécurité.

Le Canada compte actuellement une trentaine de Casques bleus dans le monde contre 2500 pour la Chine. Ainsi, Pékin assume ses responsabilités internationales, là où d’autres comme le Canada y renoncent, ce qui n’empêche pas les conservateurs d’accuser la Chine de chercher à étendre ses tentacules dans toutes les organisations internationales.

Les libéraux, eux, effectuent un virage à 180 degrés. L’ONU et les opérations de paix ne sont mentionnées qu’une seule fois dans leur programme au détour d’une courte phrase sur l’aide à apporter en cas d’urgences sanitaires et climatiques, et dans le cadre d’interventions lors de conflits.

Dorénavant, la sécurité du Canada reposera exclusivement sur le renforcement des liens militaires avec l’OTAN et les États-Unis. Le contraste est saisissant par rapport aux positions traditionnelles du Parti libéral depuis la création des Nations unies.

Les énoncés de politique étrangère de Jean Chrétien en 1995 et de Paul Martin en 2005 plaçaient l’ONU sur la liste des priorités de la diplomatie canadienne. Le programme électoral de Justin Trudeau en 2015 faisait de même.

Ainsi, sur la dizaine de pages consacrées à la défense et à la diplomatie, une portait sur la participation aux opérations de paix et les relations avec l’ONU. Deux ans plus tard, Chrystia Freeland prononçait un discours où les références aux Nations unies et au maintien de la paix étaient nombreuses.

Aujourd’hui, ce discours a pris le chemin des oubliettes. Depuis son arrivée au pouvoir il y a six ans, le Parti libéral s’est, par petites touches successives, rapproché des positions conservatrices. Avec cette nouvelle plateforme électorale, il complète sa mue en passant d’une formation politique sincèrement attachée à l’internationalisme vers celle d’un « cheerleader » d’une plus grande intégration à l’OTAN et à l’alliance militaire avec les États-Unis. Il rejoint ainsi le Parti conservateur dans sa volonté d’ériger une forteresse nord-américaine au détriment d’une politique étrangère et de défense plus ouverte sur le monde.

Cette orientation est mauvaise pour deux raisons. L’approfondissement des liens avec les États-Unis nous entraîne d’abord dans une relation de dépendance excessive qui ne plaît pas aux Canadiens. C’est ce qui ressort d’une large consultation sur la politique étrangère menée récemment par le Conseil international du Canada (CIC) […].

La deuxième raison est le corollaire de la première. La relation avec l’ONU est un symbole fort pour les Canadiens, une façon de se distinguer des États-Unis, d’échapper en partie à son emprise. Elle a longtemps permis au Canada de se façonner une identité forte sur la scène internationale […].

L’ONU a mille défauts, mais elle demeure centrale pour les affaires du monde. Elle est productrice de normes et de règles destinées à réguler les relations internationales au point où même les États-Unis de Donald Trump s’y référaient, et plus souvent qu’on le pense. Et elle n’a jamais été aussi indispensable qu’en ce moment.

Tribune de toutes les nations, elle offre aux petites comme aux moyennes de faire entendre leur voix, des voix de plus en plus couvertes par le bruit que font les grandes puissances. Ne serait-ce que pour cette raison, le prochain gouvernement devrait s’en faire le champion. On verra lors des débats des 8 et 9 septembre si c’est l’intention de nos leaders politiques.



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