Gangs de rue et armes à feu

Depuis 2009, le Canada fait face à une augmentation de 81 % des crimes violents commis avec une arme à feu. Dans les zones urbaines, cette forme de violence concerne essentiellement les gangs de rue et les organisations criminelles.
En 2019, on a rapporté, à l’échelle nationale, 162 homicides attribuables aux gangs, une augmentation comparativement à 2018. Toujours dans la même année, les gangs de rue ont été responsables de 21 % de l’ensemble des homicides commis au Canada et de 51 % de ceux perpétrés avec une arme à feu, principalement avec des armes de poing, armes qui sont d’ailleurs le plus souvent utilisées depuis 1995. En 2019, elles étaient à l’origine de 60 % des homicides.
Les provinces les plus touchées par ces vagues de violence sont la Saskatchewan (Regina, Saskatoon) et l’Ontario, plus précisément le Grand Toronto. Il faut savoir qu’il existe dans cette ville plus d’une centaine de gangs majeurs, comparativement à environ une trentaine de groupes à Montréal. La promiscuité territoriale et la concurrence sont donc des facteurs à considérer dans l’analyse des conflits et des guerres de gangs.
Même si le Québec présente un indice de gravité de la criminalité (IGC) peu élevé comparativement aux autres provinces, et en 2019, un ICG à la baisse, un constat demeure : les deux dernières années n’ont pas été de tout repos.
Écosystème criminel
Les fusillades se sont intensifiées dans les rues de Montréal, particulièrement dans certains quartiers. Selon la Division du renseignement du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), il y aurait eu plus de 150 événements (blessure par balle, décharge d’armes, douilles, appels au 911, etc.) impliquant des armes à feu à Montréal de juin 2020 à juin 2021, dont plus de 60 depuis le 1er janvier 2021.
Il est vrai que ces chiffres ne sont aucunement comparables à ceux de Toronto, où les fusillades, dues notamment à des luttes de territoire entre les groupes criminels, ravagent cette ville depuis une décennie. En effet, si en 2010, 259 fusillades (343 victimes) ont été rapportées dans le Grand Toronto, en 2019, ce chiffre passe à 464 fusillades et à 717 victimes, dont 44 décès.
Ces différences s’expliquent en partie par la particularité de l’écosystème des groupes criminels québécois. Outre le nombre de membres et de gangs au mètre carré, l’histoire montre tout un agencement de relations et de lutte de pouvoir entre les gangs et certaines organisations criminelles, en l’occurrence les Hells Angels et la mafia italienne. Une relation amour-haine qui perdure depuis le début des années 2000.
D’ailleurs, si Montréal a été relativement épargné par les fusillades — nonobstant la guerre intestine, entre les Siciliens et les Calabrais, qui a fait rage à l’intérieur de la mafia italienne montréalaise —, c’est en partie grâce au contrôle de la rue par le groupe Syndicat et sa mainmise sur certains gangs majeurs. Cependant, depuis l’automne 2020, des guerres intestines font rage à l’intérieur de mêmes familles de gangs et entre des groupes adverses : conflits personnels, de territoire, de drogue, de dettes non payées, etc.
Rébellion
Par ailleurs, la relative stabilité instaurée depuis plusieurs années par Syndicat et les Hells Angels semble quelque peu vaciller. La rébellion et le mécontentement de certains leaders de gangs, particulièrement chez les Bloods, sont des ingrédients à considérer dans cette montée de la violence à Montréal. Les comptes se règlent donc à coups de dusillades au volant (drive-by shootings) ou d’attaques dans des repaires.
Toujours est-il que la guerre n’est jamais bonne pour les affaires. Les organisations criminelles savent bien que les fusillades n’attirent que des ennuis. Il faut dire que les membres de gangs ne font pas dans la dentelle. Ils sont loin des exécutions « propres » et ne s’arrêtent pas aux potentiels « dommages collatéraux ». Leur impulsivité, leur je-m’en-foutisme et leur côté brouillon dérangent les « professionnels » du crime.
D’ailleurs, les Hells Angels savent trop bien que les dommages collatéraux, comme ils se plaisent à le dire, peuvent avoir de lourdes conséquences sur leurs activités. La mort du jeune Daniel Desrochers (11 ans), lors d’un attentat à la voiture piégée le 9 août 1995, en est un bon exemple. Cette tragédie a été le moteur de la loi antigang et de l’instauration de l’escouade Carcajou.
Depuis le printemps dernier, on a une impression de déjà-vu. Lorsque la violence déborde au point de devenir visible, la machine politique s’emballe. Apparaît alors la valse des millions et des escouades qu’elle n’hésitera pas à dissoudre dès que le calme sera revenu. On l’a bien vu avec l’escouade Éclipse.
Le leitmotiv de cette année, outre la COVID, est la lutte contre les armes à feu illégales. Quand on sait que 80 % de ces armes proviennent des États-Unis ; qu’il est facile de s’en procurer également sur le Web et le Darkweb ; qu’il existe plus de 110 routes non surveillées au Québec à la frontière américaine, dont plusieurs dans les réserves autochtones ; la mise en place de l’Équipe de lutte contre le trafic d’armes à feu (ELTA) fait sourire.
Le fait est que les fusillades ne sont pas près de cesser à court terme. Quant à l’avenir… tout dépendra des acteurs clés de cet écosystème.