Réflexions d’un citoyen inquiet

«L’exploration — et bientôt l’occupation? — de l’espace augure-t-elle mieux? On ne le dirait pas», écrit Gérard Bouchard.
Photo: Joe Burbank / Orlando Sentinel via Associated Press «L’exploration — et bientôt l’occupation? — de l’espace augure-t-elle mieux? On ne le dirait pas», écrit Gérard Bouchard.

Je ne connais pas grand-chose sur les effets du changement climatique ; je vais en parler quand même. Mais c’est surtout pour exprimer mes inquiétudes et ma perplexité, des sentiments que je devine partagés par bien d’autres personnes.

Comme bien d’autres aussi sans doute, je pense souvent à mes petits-enfants, encore tout jeunes, et je me demande dans quel univers vivront leurs enfants.

Cela dit, en matière d’environnement, je ne suis tout de même pas totalement ignare. Je prends connaissance très attentivement de ce que rapportent les médias. Il m’arrive souvent aussi d’aller sur Internet pour en apprendre un peu plus.

Ces jours-ci, je me suis beaucoup intéressé au dernier rapport du GIEC, ce groupe intergouvernemental, indépendant et international qui, depuis 1988 suit de près l’évolution de l’environnement — ou plus exactement sa détérioration.

Ce que nous disent ses milliers d’experts recrutés à travers le monde, c’est que les conséquences du réchauffement climatique sont de plus en plus graves, qu’elles pourraient s’étaler sur des siècles et même des millénaires, qu’il presse d’agir (« c’est maintenant ou jamais »). En gros, la situation, qui n’était déjà pas reluisante, empire.

On peut au moins, paradoxalement, en tirer un élément moins décourageant : selon ces prévisions, la planète et ses habitants sont encore là pour très longtemps. Mais c’est un optimisme que ne partagent pas tous les experts ; certains nous disent qu’il est déjà trop tard pour réparer les dégâts.

Sagesse

 

Bien au-delà de la question environnementale, on me permettra d’abord un bien gros constat (qui heureusement n’engage que moi) : il me semble que, contrairement à d’autres espèces, les humains manquent de sagesse. Ils sont animés d’une volonté de domination et d’accaparement qui n’a pas de limite.

La grande majorité d’entre nous admire les célèbres conquérants, les grands hommes de guerre : Gengis Khan, Alexandre, Hannibal, César, Napoléon. Nous ne portons pas beaucoup attention aux ravages qui ont accompagné leurs parcours grandioses : les morts, les destructions, les pillages, la misère.

De même, l’histoire de la formation des grands empires nous séduit. Pour en connaître le revers (les peuplades anéanties, les nations en captivité, la liberté confisquée), il faut consulter d’autres ouvrages beaucoup moins attrayants, moins « stimulants » — des histoires de loosers.

Pensons à la « découverte » du Nouveau Monde par les puissances européennes à partir de la fin du XVe siècle. Partout où ces peuples profondément chrétiens et très « civilisés » ont débarqué, de l’Océanie jusqu’aux Amériques. Ils y ont semé l’horreur : la mort (parfois l’extermination), la spoliation, l’esclavage, le racisme, l’appauvrissement.

Il n’est pas besoin d’être de gauche pour le constater ; il suffit de jeter un coup d’œil sur l’histoire des impérialismes et des colonialismes. Aujourd’hui même, un très grand nombre de conflits armés, de tensions, d’inégalités et d’injustices sociales appartiennent à l’héritage de ces violences.

Mais encore là, nous nous laissons souvent distraire ou même aveugler par les merveilles édifiées dans les vieilles métropoles en oubliant que ces splendeurs sont en bonne partie le fruit de la rapine.

L’exploration — et bientôt l’occupation ? — de l’espace augure-t-elle mieux ? On ne le dirait pas. Elles procèdent dans un contexte tantôt de rivalité entre grandes puissances, chacune voulant y assurer sa place, et tantôt de concurrence entre multinationales dans le plus pur esprit du capitalisme que l’on qualifiait jadis de « sauvage », c’est-à-dire dans le plus grand désordre.

On s’inquiète déjà de l’encombrement des déchets (des gros et des petits — ces derniers au nombre de 150 millions —) qui rendent de plus en plus dangereux le mouvement des satellites de communication (plus d’un millier de satellites commerciaux seront lancés d’ici 2023 ; au-delà, les prévisions sont hallucinantes).

Instinct destructeur

 

Revenant sur terre, je n’oublie pas de mentionner toutes les formes de domination et d’exploitation que, dans toutes les sociétés, les classes les plus puissantes ont exercées sur la majorité des habitants. On inclura ici la motivation (pathologique ?) qui pousse présentement une minorité de plus en plus petite de nantis à accaparer une part de plus en plus grande de la richesse produite sur la planète.

Ce survol est évidemment fort simpliste. Mais ce qu’il veut mettre en relief n’est pas bien compliqué : il y a chez l’humain un instinct redoutable, irrépressible, d’accaparement et de domination.

Pour en revenir à l’environnement et à mes inquiétudes, c’est de là justement que vient ma tentation du pessimisme. Quelle grande puissance consentira à rétrograder au nom de l’environnement ?

Cette question en amène une autre, plus considérable encore : quelles conditions, quel concours de circonstances faudra-t-il pour mettre en échec cet instinct profond, destructeur, afin de substituer la coopération à la rivalité, pour amener notre espèce à la raison ?

Il serait trop facile de verser ici dans un catastrophisme stérile, et j’aimerais bien m’en garder. Mais j’aurais besoin d’aide. Quelqu’un aurait-il l’amabilité de me fournir des motifs raisonnables, des raisons crédibles, solides, d’espérer ?

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