Trois prises contre le Parti conservateur

L’importance de l’enjeu de la lutte contre les changements climatiques et la polarisation à propos de l’immigration nuisent aux chances du Parti conservateur de former le prochain gouvernement, soutient l'auteur.
Photo: Ryan Remiorz La Presse canadienne L’importance de l’enjeu de la lutte contre les changements climatiques et la polarisation à propos de l’immigration nuisent aux chances du Parti conservateur de former le prochain gouvernement, soutient l'auteur.

Le Parti conservateur du Canada entame la campagne électorale en mauvaise posture, avec à peine 29 % des intentions de vote. Si la tendance se maintenait, le parti pourrait réaliser le pire résultat de son histoire.

Certains attribuent l’impopularité du parti à son chef méconnu, Erin O’Toole. Pourtant, celui-ci est beaucoup plus crédible et (un peu plus) charismatique que son prédécesseur, Andrew Scheer. Il faut donc trouver d’autres explications à la désaffection des électeurs envers le PCC. D’autres affirment que les déboires des conservateurs s’expliquent par la pandémie, qui a diminué la visibilité des partis d’opposition en focalisant l’attention des électeurs sur les gouvernements. Mais cette explication apparaît elle aussi insuffisante, le Nouveau Parti démocratique (NPD) ayant, lui, récemment enregistré une hausse dans les sondages.

Trois facteurs structurels

 

Outre le leadership et la crise sanitaire, trois facteurs structurels expliquent pourquoi les conservateurs sont beaucoup moins populaires à l’heure actuelle que pendant les années Harper.

D’abord, la lutte contre les changements climatiques est devenue un dossier incontournable du débat politique canadien. Aujourd’hui, tous les partis qui aspirent au pouvoir doivent proposer un plan crédible pour protéger l’environnement. Or, la réforme, fort critiquée, de la taxe carbone proposée par le Parti ménage tellement la chèvre et le chou qu’elle ne plaît ni à la base climatosceptique du parti ni aux environnementalistes.

En contrepartie, en 2011, les questions environnementales importaient peu pour une bonne partie des Canadiens, de sorte que les conservateurs de Stephen Harper pouvaient les ignorer.

 

Électeurs immigrants

Ensuite, le vote d’électeurs immigrants de première et de deuxième génération habitant les banlieues de Toronto avait été un élément décisif pour l’obtention de la seule majorité de l’histoire du PCC en 2011.

Jason Kenney, alors ministre de l’Immigration, avait su construire l’image du PCC pour plaire à certaines communautés immigrantes : fiscalement responsable, socialement conservateur, mais ouvert à la diversité, à l’immigration et à la mondialisation. Or, la crise migratoire, l’élection de Donald Trump et la montée de l’extrême droite ont contribué à une polarisation de l’électorat en ce qui concerne l’immigration et la diversité, avec les nationalistes identitaires d’un côté et les universalistes multiculturalistes de l’autre.

Ce clivage est devenu si déterminant qu’il apparaît difficile de regrouper à l’intérieur d’un même parti la base conservatrice blanche, rurale et peu ouverte à l’immigration avec des électeurs urbains et eux-mêmes issus de l’immigration. La question de l’immigration et de la diversité était beaucoup moins polarisante en 2011, de sorte qu’Harper pouvait coaliser ces deux groupes en insistant sur ce qui les unissait. Finalement, la crise sanitaire a révélé les lacunes évidentes de nos services publics : notre système de soins à domicile pour personnes âgées manque de financement, les services de garde abordables sont essentiels et notre système d’assurance-emploi est inadéquat.

Pour répondre à ces problèmes sociaux, une majorité d’électeurs favorisent maintenant une augmentation des investissements publics, ce que leur propose d’ailleurs le gouvernement Trudeau et les partis d’opposition progressistes.

Auparavant, une forte proportion d’électeurs étaient convaincus de l’importance de réduire le déficit budgétaire, quitte à imposer des mesures d’austérité qui restreignent les dépenses publiques. D’ailleurs, pour résorber les déficits induits par la récession de 2008, le PCC a implanté des mesures d’austérité sans nuire à sa popularité.

Ce regain d’intérêt des Canadiens pour l’intervention de l’État et l’augmentation des investissements publics représente un changement fondamental causé par la pandémie, qui, à lui seul, pourrait expliquer que les conservateurs obtiennent de moins bons résultats en 2021 qu’à l’élection de 2019.

L’électorat volatil

Bien entendu, l’électorat demeure volatil et les campagnes électorales regorgent d’incertitudes. Certains événements inattendus peuvent changer la trajectoire de la course. Rappelons-nous qu’un jugement de la Cour d’appel sur le port du niqab avait fait dérailler la campagne du NPD en 2015 et qu’il n’est pas impossible qu’une telle situation se reproduise.

Toutefois, l’importance de l’enjeu de la lutte contre les changements climatiques, la polarisation à propos de l’immigration ainsi que le regain d’intérêt pour l’intervention de l’État nuisent aux chances du Parti conservateur de former le prochain gouvernement. Advenant une autre défaite, le PCC devra repenser sa position sur ces questions.

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