Quelques questions sur les sépultures des pensionnats pour Autochtones

Il faut envisager que des parents ont été laissés dans l’ignorance concernant la mort de leur enfant, selon l’auteur. Il souligne que plusieurs experts ont relevé l’aspect rudimentaire des communications de l’époque, et encore plus avec des communautés éloignées et parlant souvent une autre langue.
Geoff Robins Agence France-Presse Il faut envisager que des parents ont été laissés dans l’ignorance concernant la mort de leur enfant, selon l’auteur. Il souligne que plusieurs experts ont relevé l’aspect rudimentaire des communications de l’époque, et encore plus avec des communautés éloignées et parlant souvent une autre langue.

Comme un très grand nombre de Canadiens, je partage sincèrement la tristesse des communautés autochtones relativement à la découverte des cimetières des écoles résidentielles. L’avenir d’un peuple passe certainement par la mémoire et le respect de ses morts, a fortiori de ses enfants décédés loin de leurs terres natales.

Lors de la commission sur la réconciliation avec les peuples autochtones, d’anciens élèves de ces pensionnats ont livré des témoignages bouleversants sur la vie dans ces lieux et sur la souffrance due à l’éloignement de leur famille. Cela dit, malgré les découvertes hebdomadaires dans ces cimetières que certains qualifient d’anonymes, plusieurs questions demeurent encore sans réponses et il est nécessaire de les poser si on souhaite obtenir la vérité sur ce qui est réellement arrivé.

 

En s’associant à des Églises, le gouvernement ne se libère pas de toutes ses responsabilités : il était le tuteur légal de ces enfants

Le premier questionnement qu’il convient d’avoir se rapporte à la nature véritable des cimetières des pensionnats : s’agit-il de cimetières secrets qu’on a voulu effacer de la mémoire collective ou bien s’agit-il de cimetières oubliés ou abandonnés ? L’existence de ces cimetières était, semble-t-il, connue, ce qui nous permet d’écarter la première option. Quant à l’oubli des cimetières, bien que cela soit regrettable, il semble important de rappeler qu’il ne s’agit malheureusement pas d’une exception. Les Cantons-de-l’Est, par exemple, comptent plusieurs cimetières ayant appartenu à diverses communautés chrétiennes et qui sont aujourd’hui abandonnés, voire détruits dans certains cas, sans qu’aucune attention particulière soit donnée aux sépultures. Si la première option pouvait être interprétée comme le témoignage d’une volonté coupable des communautés religieuses responsables de ces pensionnats, la seconde, quant à elle, accuse plus largement notre infidélité collective par rapport à la mémoire de celles et ceux qui nous ont précédés et qui étaient sous notre responsabilité.

Des réponses en suspens

 

Cette question nous conduit à une autre concernant les sépultures et les rites funéraires. Ces enfants ont-ils été enterrés avec ou sans rites funéraires ? Puis, ces sépultures étaient-elles anonymes ? Depuis le début de la colonie canadienne, il y a eu des dispositions normatives claires de la part des autorités gouvernementales relativement aux sépultures : peu importe la confession religieuse, toute personne avait droit à une sépulture en bonne et due forme. Bien sûr, certains diront que les membres des Premières Nations ne recevaient pas la même reconnaissance. Cela est sans doute vrai en partie, mais la question a besoin de recevoir des réponses documentées. A-t-on respecté les lois de l’époque sur les sépultures ? Sinon, pourquoi ? Du côté des autorités catholiques, il y avait là aussi des dispositions normatives dans le droit canonique concernant les sépultures. Si ces enfants étaient baptisés, et donc catholiques, ils devaient nécessairement être enterrés avec un rituel religieux. Or, ce rituel est par nature nominal, car il symbolise l’entrée dans la communauté des chrétiens morts et ressuscités avec le Christ. En d’autres mots, il est légitime de présumer que les communautés religieuses responsables des écoles avaient une ou deux contraintes légales les obligeant à offrir une véritable sépulture aux enfants décédés. Il est à souhaiter que les archives des communautés religieuses aient gardé des traces de ces rituels funéraires. Par exemple, contiennent-elles un registre des décès, car c’était là une exigence que l’État imposait aux églises responsables de cimetières déjà au XIXe siècle ? A-t-on célébré des messes pour ces enfants décédés et a-t-on tenu un registre de ces liturgies ?

Ces enfants sont-ils morts alors que leurs proches sont demeurés dans la complète ignorance du décès ? Il s’agit là d’une question extrêmement délicate. On ne peut pas concevoir qu’un parent puisse être tenu dans l’ignorance de la mort de son enfant. Pourtant, il faut envisager que cela puisse être possible. Plusieurs experts ont relevé ces derniers jours comment les communications de l’époque pouvaient être rudimentaires, et encore plus avec des communautés éloignées et parlant souvent une autre langue. Néanmoins, on peut présumer que les Oblats, qui avaient plusieurs missions dans le Nord canadien, ont pu recevoir des informations ponctuelles provenant des pensionnats sous leur responsabilité. Les archives oblates ou celles d’autres communautés religieuses nous permettent-elles d’apporter des réponses ? Il est difficile d’imaginer que ce sujet fut absent de la correspondance des missionnaires.

À qui la faute ?

 

Un dernier questionnement et non le moindre est celui de la responsabilité de nos gouvernements relativement à ces pensionnats. J’observe avec stupéfaction comment notre gouvernement fédéral a l’excuse facile et comment il est prompt à montrer du doigt un autre responsable, qu’il soupçonne même d’acte criminel, soit l’Église catholique. Qu’en est-il du contrat moral entre le gouvernement canadien et ces pensionnats autochtones ? Entre le XVIIe siècle et la première moitié du XXe siècle, il était assez commun de voir nos gouvernements recourir à l’assistance des Églises, catholique et autres, pour garantir des services éducatifs et sociaux, comme des pensionnats ou des orphelinats. On pourrait qualifier ce partenariat de contractuel, au sens où les Églises étaient sollicitées par les gouvernements et recevaient diverses formes de subsides publics pour ces fonctions. La Loi sur les pensionnats autochtones, faut-il le rappeler, est fédérale et c’est le gouvernement fédéral qui a soutenu la création de ces écoles. En s’associant à des Églises, le gouvernement ne se libère pas de toutes ses responsabilités : il était le tuteur légal de ces enfants. Il est légitime de se questionner sur la manière par laquelle l’autorité gouvernementale s’assurait du bien-être des pensionnaires qu’elles confiaient aux communautés religieuses. J’ajouterais que le gouvernement avait certainement le devoir suprême de s’informer des enfants morts et des conditions de leurs sépultures. Le gouvernement canadien en a-t-il été informé ? Le gouvernement canadien a-t-il cherché à connaître les conditions de vie et de santé de ces pensionnaires ? Était-il préoccupé uniquement par la réussite ou non du processus d’assimilation ?

Cela dit, avant que l’on puisse porter des accusations formelles, plusieurs questions doivent trouver une réponse. Je ne cherche pas à accuser ou à disculper qui que ce soit, mais le devoir de mémoire exige une objectivité factuelle et une recherche complète de la vérité.

 

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