L'appui à CHOI-FM - Pourquoi Québec se complaît-il dans la radio à scandale?

Pierre Bourgault fut un jour engagé par une station radiophonique de Québec comme morningman pour combattre directement André Arthur, alors au sommet de sa gloire dans cette ville. D'immenses placards annonçaient l'arrivée du célèbre tribun avec le slogan de circonstance: «La vague Bourgault».

Moins de trois mois plus tard, le critique médias du Soleil soulignait que la vague s'était transformée en clapotis. Bourgault, le clapotis, a fait ses valises et est rentré à Montréal. Échec total... On aura beau être parmi les plus grands communicateurs de l'histoire du pays, Québec, c'est Québec...

Que le CRTC ait mis ses culottes pour une fois ou qu'il se soit attaqué au sacro-saint principe de la liberté d'expression, c'est une chose. Que les politiciens aient voulu surfer sur l'événement, c'en est une autre. Mais l'essentiel dans tout ça ne réside-t-il pas dans le fait que 50 000 personnes ont tenu à descendre dans la rue pour s'afficher en faveur de CHOI? Jamais autant de Montréalais ne se seraient portés à la défense de Gilles Proulx, dans le temps... L'affaire CHOI est d'abord un phénomène de société avant d'être une affaire de philosophie politique ou d'éthique.

Un mystère

Vue de l'extérieur, la radio de Québec demeure un mystère. Pourquoi cette ville se complaît-elle autant dans la radio à scandale? Pourquoi cette si jolie ville tient-elle à brasser quotidiennement de la merde, à cracher sur les gens, à saccager des réputations, à jouer la loi des gros bras? À quoi tient une telle jouissance dans l'insulte, l'indignation hargneuse, la grossièreté scabreuse, la hargne vengeresse?

Que certains habitants de Québec s'amusent dans leur automobile le matin à faire des «ohhh!» faussement scandalisés en écoutant les injures provocatrices de Jeff Fillion, c'est une chose. Mais que des centaines de milliers de personnes voient ces incartades déchaînées comme souhaitables, appropriées et bénéfiques, c'en est une autre.

Quel est le secret de ces centaines de milliers de délectations indécentes d'autant d'auditeurs?

Voilà la vraie question à se poser. En effet, si ces bouffées délirantes répondent à un besoin véritable, si elles apaisent une tension sociale chronique à Québec, ce stress va toujours se manifester d'une façon ou d'une autre, à la radio, dans le journal, sur Internet. Ou, pire, dans des gestes systématiques de délinquance: vandalisme, provocation gratuite, conflits de travail dégénérés, etc. En bâillonnant Fillion, la décision du CRTC ne règle en rien le problème de la ville, bien au contraire.

Cette façon étonnante d'aborder systématiquement l'actualité par le lynchage médiatique et la rage méchante — l'affaire sur la prostitution juvénile en étant le meilleur exemple récent — ne serait-elle pas que le symptôme d'une vision collective du monde, tranchée et systématiquement conflictuelle?

Eux et nous

Le reportage du Devoir relatant la grosse manifestation de juillet débutait par le témoignage d'une femme qui se disait en accord avec les propos de Fillion. Elle donnait l'exemple de sa dénonciation régulière des fonctionnaires qui se déclarent en burn-out à tout bout de champ alors que son mari travaille de 12 à 14 heures par jour sans jamais se payer un tel luxe. Eux, les «hosties», et nous. La gang de ceux qui en arrachent contre la gang des profiteurs. Nous ne sommes pas loin de la forêt de Sherwood: Fillion en Robin des Bois et L'Allier en shérif de Nottingham...

Quelle est la spécificité de Québec, sinon d'être très largement constitué de fonctionnaires et d'universitaires en cohabitation avec une frange importante d'ouvriers (contrairement à Ottawa, par exemple)? Or, quel que soit l'endroit, ces groupes sont forcément en opposition, en tiraillement, en confrontation de valeurs et de priorités de vie.

Habituellement, ce rapport de force trouve un certain équilibre: la petite bourgeoisie et la classe moyenne détiennent les principaux leviers culturels, mais la classe ouvrière profite du poids du nombre. Elle dispose de moins de voix pour la représenter, mais ses créneaux sont les plus populaires.

Vu l'énorme place occupée par les fonctionnaires et les universitaires à Québec, peut-être réussissent-ils à s'arroger à la fois les principaux canaux culturels et à les maintenir par leur (presque) majorité. D'où l'énorme ressentiment longuement développé et entretenu chez les ouvriers de la ville.

Esprit de corps

Quand les manifestants soulignent que CHOI est la seule station différente à Québec, il soulignent le caractère d'exception de la station mais aussi la prédominance d'une autre forme d'expression. Le rock contre la chanson française. Les animations doucereuses et gentilles contre des expressions plus affirmées, plus catégoriques. Le cute contre le rough. Confrontation classique entre classe moyenne et ouvrière, mais où, cette fois-ci, cette dernière se sent écrasée et réduite au silence.

Or, de tous les médias, aucun ne vaut la radio pour créer des rassemblements «tribaux», bâtir des communautés, des «parentés», des «gangs d'appartenance». Autant le journal est rationnel par l'écrit, autant la radio est émotive par la parole et la musique.

Dans un tel contexte, disloquer CHOI est pire que de bannir un quotidien. C'est oser interdire non pas des idées (d'où le faux combat sur la liberté d'expression) mais un lien social, un esprit de corps, cimenté par une culture de résistance ancestrale.

Les politiciens opportunistes comprennent le phénomène: c'est l'équivalent d'une base électorale, faite non pas d'idées et de principes à défendre mais d'une masse compacte, acquise, fidèle et combative.

Fermer ou non CHOI? Le problème est beaucoup plus complexe que de bâillonner Fillion. Les menaces qu'il profère ont de quoi faire frémir. Surtout qu'il attend juste un procès en diffamation pour se faire de la pub, entraînant ainsi les gens dans un cercle infernal. À cet égard, l'attitude combative anti-Fillion de Franco Nuovo est parfaitement justifiée.

Mais reconnaissons que si les fidèles de la station ne trouvent pas compensation immédiatement à la disparition de CHOI, ils vont définitivement associer la direction du CRTC à leur concitoyens fonctionnaires, la même «maudite race» à leurs yeux. La théorie d'un vaste complot va faire surface.

Le CRTC fait sortir le pus, mais ça ne guérit pas le bobo pour autant... Il faut rétablir le rapport de force. Sinon, l'agressivité dans la ville va monter d'un cran. Elle va prendre la forme des gestes abusifs habituels: tension dans les taxis et dans les lieux publics, agressivité sur la route, altercation dans les bars et restaurants, saccage d'écoles, etc. Bref, la police de Québec va faire beaucoup d'heures supplémentaires cet automne.

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