Pesticides: des mesures incohérentes et dépourvues d’ambition

À l’automne 2020, le ministre de l’Agriculture du Québec, André Lamontagne, a dévoilé en grande pompe un Plan d’agriculture durable 2020-2030 (PAD) proposant de « s’attaquer », notamment, au problème des pesticides. Ce plan très attendu a été proposé un an et demi après le début des travaux de la Commission de l’agriculture, des pêcheries, de l’énergie et des ressources naturelles de l’Assemblée nationale du Québec sur l’usage des pesticides. Cette dernière donnait suite à ce qu’on a appelé « l’affaire Louis Robert », du nom de cet agronome considéré comme un lanceur d’alerte pour avoir dénoncé les pressions exercées par des lobbyistes du secteur privé dans le domaine de la recherche publique portant sur l’utilisation de ces produits.

Le ministre Lamontagne a qualifié ce plan d’historique, se vantant même de faire du Québec un « chef de file » en matière d’agriculture durable. Cependant, on part de loin quand on sait que le maïs et le soya génétiquement modifiés (GM) sont cultivés sur plus de 50 % de nos terres agricoles (si l’on exclut la culture du foin) et que l’entièreté de ces cultures GM est conçue pour qu’elles soient tolérantes à un ou plusieurs herbicides. La généralisation de ces cultures a favorisé l’épandage répété de certains pesticides ayant pour conséquence l’apparition de plantes résistantes. Pour résoudre ce problème, l’industrie a choisi d’en intensifier l’usage et de commercialiser de nouvelles plantes GM tolérantes à plusieurs herbicides — dont le 2,4-D et le dicamba. On se trouve donc confrontés à un constat d’échec et pris dans un cercle vicieux, puisque ces deux pesticides devaient être abandonnés « grâce » à l’arrivée du controversé glyphosate sur le marché.

Loin d’une révolution verte

Faire preuve d’ambition consisterait plutôt à donner une véritable place aux solutions proposées par l’agroécologie qu’on s’empresse de vanter, mais sans les sortir de leur marginalité ni les financer adéquatement. Le saupoudrage de quelques subventions dans le PAD pour de prétendus services écosystémiques, ces services rendus à l’être humain par les écosystèmes, ne changera pas grand-chose si nous restons figés dans le même paradigme.

Si la révolution qualifiée de « verte » avait pour noble but de nourrir le monde (sans malheureusement jamais atteindre son objectif ultime), elle était bien mal nommée, car basée sur le recours aux produits chimiques et sur l’industrialisation de l’agriculture, deux processus antinomiques avec l’écologie. Aujourd’hui, face à l’effondrement de la biodiversité et aux changements climatiques, c’est une véritable révolution verte, paysanne et fondée sur la compréhension des écosystèmes qui s’impose.

Des Idées en revues

Chaque mardi, Le Devoir offre un espace aux artisans d’un périodique. Cette semaine, nous vous proposons une version abrégée d’un texte paru dans la revue Relations, été 2021, no 813.

On en est loin, si on s’en tient au Plan d’agriculture durable proposé. Certes, le ministre Lamontagne a annoncé avec fierté son intention de réduire l’utilisation annuelle des pesticides de 500 000 kilogrammes d’ici 2030. Le hic, c’est que cet objectif a déjà été atteint en 2018, comme l’a rapporté Radio-Canada l’automne dernier. Le ministère a évoqué une « anomalie » dans le rapport 2018 du Bilan des pesticides pour tenter de l’expliquer, sans pour autant travailler à rectifier ses méthodes d’analyse de façon à bien comptabiliser l’usage réel des pesticides au Québec. Selon l’agronome Louis Robert, nous serions capables de réduire notre utilisation de 30 % à 40 % avec des mesures simples, rapides et peu coûteuses. Pourquoi alors ne pas être plus ambitieux ?

Inutiles néonicotinoïdes

 

Une étude québécoise révèle, par exemple, que les néonicotinoïdes sont inutiles dans plus de 95 % des champs de maïs et de soya du Québec. Employés en prévention, ces fameux « tueurs d’abeilles » se retrouvent à enrober les semences elles-mêmes, empêchant les exploitants agricoles de choisir — ou non — d’en utiliser. Interdire l’usage préventif de ces pesticides (comme celui d’autres produits nocifs) et rendre obligatoire l’obtention d’une prescription en cas de nécessité permettraient de faire des progrès significatifs : on traiterait ainsi seulement les 5 % de la production qui ont besoin de l’être.

On se demande donc ce que le gouvernement a fait des nombreuses recommandations formulées durant la commission parlementaire sur le sujet, telles que la séparation des activités de vente de pesticides et celles de conseil en matière agronomique, ou encore l’interdiction de la vente des pesticides aux particuliers. Le lancement du PAD aurait pu être une occasion de mettre en pratique dès maintenant plusieurs solutions qui font consensus auprès des chercheurs indépendants entendus lors de la Commission. Or, les gouvernements successifs semblent sous l’influence des lobbys, incapables d’avancer tant que la pression populaire ne les y contraint pas. « Ils ne sont puissants que parce que nous sommes à genoux », disait Louis Robert à propos des lobbyistes, en commission parlementaire. À nous de nous saisir de ces enjeux et de sensibiliser la population aux solutions qui permettraient de sortir le Québec de sa dépendance aux pesticides. Vigilance OGM en présente plusieurs dans un manifeste à signer à l’adresse suivante : vigilanceogm.org/sortirduglyphosate.

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