Pour la pérennisation des ateliers d’artistes

Le 17 mai, le gouvernement du Québec et la Ville de Montréal ont annoncé des investissements de 30 M$ pour la pérennisation des ateliers d’artistes à Montréal. L’annonce, très attendue par le milieu des arts, rend enfin accessible une enveloppe de 25 M$ promise par le gouvernement Legault début 2019 en réponse à une vague d’expulsions d’artistes dans la métropole. L’organisme Ateliers créatifs estime qu’entre 400 et 600 artistes y ont perdu leur espace de travail depuis 2018 en raison d’expulsions et de hausses de loyers.
Deux ans plus tard, Québec concrétise enfin son appui, par un programme destiné à financer des améliorations locatives pour des ateliers d’un minimum de 5000 pieds carrés, protégés par un bail d’au moins 20 ans. Montréal ajoute 5 M$, destinés notamment à amoindrir la hausse des taxes municipales.
Bien que la Ville ait mené des consultations auprès de la communauté artistique en amont de sa création, ce programme esquive plusieurs problèmes bien connus et qui risquent de le rendre peu efficace. Il reste sourd à nos principales demandes pour assurer la pérennité des ateliers : alléger les taxes payées par les artistes durant toute la durée des baux, offrir de véritables incitatifs pour les propriétaires et encourager l’acquisition collective, par le milieu artistique, des espaces qu’il occupe.
Des taxes qui font mal
Les taxes municipales représentent un lourd fardeau pour les artistes, aux revenus notoirement faibles. Il faut savoir que les ateliers d’artistes, à Montréal, sont taxés au même taux que n’importe quel local commercial. Ce fardeau, loin d’être amoindri par l’annonce du 17 mai, a toutes les chances d’augmenter avec la flambée des prix de l’immobilier.
Pour pallier ce problème, la Ville annonce que les artistes dont les ateliers auront été rénovés (avec les 25 M$ de Québec) profiteront d’un sursis d’augmentation de taxes foncières de… deux ans. Sur 20. Alors même que ces rénovations, en augmentant la valeur des immeubles loués, augmenteront aussi les taxes.
Nous sommes déjà passés par là. En 2012, le gouvernement du Québec et la Ville de Montréal ont investi 8,34 M$ pour pérenniser les ateliers dans deux immeubles rue De Gaspé. Les taxes municipales y ayant quadruplé entre 2014 et 2018, la longévité des baux (30 ans) n’a pas suffi à assurer le maintien de loyers abordables. […]
Un manque d’incitatifs
Un autre inconvénient majeur du programme est de viser la pérennisation des ateliers d’artistes sans nous donner tous les outils pour y parvenir. Voilà des années qu’artistes et organismes tentent de négocier, sans grand succès, des baux à long terme avec des propriétaires qui y trouvent peu d’intérêts. Que les artistes (ou Québec) financent la rénovation des espaces qu’ils occupent, cela se fait depuis toujours et n’a jamais constitué un incitatif assez puissant pour que des propriétaires s’engagent à niveler leurs revenus par le bas. Les leviers sont ailleurs, par exemple dans l’octroi, par les arrondissements, de dérogations aux propriétaires, et dans la création, par Québec, d’une loi qui permettrait aux municipalités de moduler leurs taux de taxation, comme cela se fait en Ontario.
D’autre part, des ententes de 20 ans ne préviendront en rien l’éviction des artistes lorsque celles-ci seront échues et que le processus d’embourgeoisement aura fait son œuvre. À ce moment, le cycle reprendra, et le travail sera entièrement à refaire.
À trop compter sur la bonne volonté des propriétaires, artistes et autres locataires aux poches fines continuent d’être expulsés de leurs milieux de vie. Misant sur la forme locative, le programme annoncé évacue la solution la meilleure à la vulnérabilité des artistes face aux aléas du marché : l’accès à la propriété collective. Les artistes ont démontré de longue date leur capacité à s’organiser et à entreprendre de grands projets, souvent avec peu de moyens. La propriété, dans des modèles coopératifs, permettrait aussi aux artistes de s’extraire de leur rôle plus que gênant d’agents d’embourgeoisement, en évitant que leurs migrations perpétuelles ne continuent à bouleverser l’écologie des quartiers.
Taxes, incitatifs, propriété collective : des solutions existent à tous ces problèmes, que les 30 M$ annoncés ne permettront malheureusement pas de mettre en place. Nous saluons bien sûr la venue de cet argent, mais soulignons qu’il reste encore beaucoup de travail à faire. Nous attendons toujours de vraies solutions à la perte des ateliers, et à la politique qui fait de l’éviction des moins bien nantis un processus normal, entériné par l’inaction des gouvernements en matière de protection des locataires. Il est temps, pour Québec comme pour la Ville de Montréal, d’imaginer d’autres modèles.
*Cette lettre est signée par : Signataires:
Alexis Bellavance, artiste, cofondateur et codirecteur des Ateliers Belleville;
Catherine Bodmer, artiste et cofondatrice des Ateliers Casgrain / ex-305 Bellechasse;
Sylvain Bouthillette, artiste et cofondateur des Ateliers Casgrain / ex-305 Bellechasse;
Edith Brunette, artiste et cofondatrice des Ateliers Casgrain / ex-305 Bellechasse, doctorante en études politiques à l’Université d’Ottawa, boursière de la Fondation Pierre-Elliott Trudeau;
Isabelle Guimond, artiste / ex-305 Bellechasse;
Claudine Hubert, Commissaire / Présidente des Ateliers Belleville;
François Lemieux, artiste et cofondateur des Ateliers Casgrain / ex-305 Bellechasse;
Jonathan Villeneuve, artiste, cofondateur et codirecteur des Ateliers Belleville
De plus, cette lettre a reçu l’appui de 436 artistes, travailleuses et travailleurs de l’art et artisan.e.s – incluant les président.e.s du Regroupement des artistes en arts visuels (RAAV), du Regroupement des centres d’artistes autogérés du Québec (RCAAQ) et du Regroupement des arts interdisciplinaires du Québec (RAIQ).