Le statu quo est préférable en santé et sécurité du travail

La réforme en santé et sécurité du travail déposée à l’automne dernier par le ministre du Travail, Jean Boulet, est rendue à un stade décisif. La fin de la session parlementaire arrive à grands pas, mais seule la partie qui concerne l’indemnisation a fait l’objet d’une étude détaillée. Que fera le ministre ?
L’étude détaillée du projet de loi 59 (PL59) touchant à la fois la prévention et l’indemnisation des travailleurs et travailleuses reprend cette semaine et elle sera surveillée de près. Devant l’Assemblée nationale se tient une vigie de 59 heures rassemblant des associations syndicales et communautaires afin de dénoncer les reculs en indemnisation et la faiblesse des gains en prévention.
Des économies pour les employeurs ou une modernisation pour les travailleurs et les travailleuses ?
Lors du dépôt du PL59, le ministre a annoncé des économies de 4,3 milliards dans les premières années et, dans un horizon de 10 ans, de 634,1 millions par année. Pour ce faire, le PL59 resserre le droit à l’indemnisation pour les victimes du travail et modernise insuffisamment la prévention des risques du travail.
Pourtant, le Fonds de la santé et de la sécurité du travail est loin d’être en mauvaise posture. En 2019, son exercice financier s’est soldé par un surplus de 814,2 millions et son taux de capitalisation était de 124,8 %, représentant un sommet historique. De plus, cette année, le taux moyen de cotisation patronale est à son plus bas depuis 1985.
Par ailleurs, après avoir affiché un déficit de 3,4 milliards lors de la crise de 2008 en raison des placements à risque de la Caisse de dépôt et placement, le Fonds connaît de bonnes performances depuis cinq ans.
Ainsi, malgré une situation financière avantageuse et le caractère public de la prévention et de l’indemnisation, on promet aux employeurs une diminution de leur responsabilité financière en limitant les droits des travailleuses et des travailleurs.
« Trop généreux », le régime ?
Dans le cadre des consultations sur le PL59, les représentants des employeurs ont dénoncé que plusieurs de leurs obligations en santé et sécurité du travail relevaient plutôt d’une responsabilité sociale ou d’un programme d’aide.
Toutefois, il faut savoir qu’au Québec, la responsabilité patronale en matière de lésions professionnelles est reconnue depuis plus d’un siècle. Avant la première Loi sur les accidents de travail en 1909, les tribunaux civils reconnaissaient déjà le principe de responsabilité patronale. À l’aube du XXe siècle, ce sont 70 % des poursuites contre les employeurs qui se concluent en faveur des travailleurs et travailleuses.
Avec la Loi sur les accidents de travail de 1931, la responsabilité patronale en matière de lésions professionnelles fait l’objet d’une transaction historique. D’un côté, le personnel obtient droit à la réparation. De l’autre, le patronat se voit mettre à l’abri des poursuites et bénéficie d’un plafonnement des indemnités à verser. De ce compromis a découlé la création d’un régime d’indemnisation sans égard à la faute administré par l’État.
Notre régime ne relève donc pas de la charité, c’est une assurance patronale. Il est absolument essentiel de garder en tête ce principe lorsque le ministre Boulet fait miroiter des centaines de millions d’économies aux employeurs qui trouvent que le régime serait « trop généreux ».
Qu’adviendra-t-il de la réforme ?
Comme la session parlementaire se termine sous peu alors que l’étude détaillée du PL59 est loin d’être achevée, le ministre pourrait bientôt vouloir appuyer sur l’accélérateur. Il pourrait notamment scinder le PL59 ou user d’un bâillon.
Pour notre part, nous pensons que les reculs sont tellement importants comparativement aux gains qu’il est malheureusement préférable de maintenir le statu quo.
En 1986, un organisme fondé par Michel Chartrand prédisait que :
« Le refus du patronat de continuer à couvrir l’ensemble des dépenses de la caisse d’indemnisation […] risque d’entraîner non seulement un resserrement dans le processus d’indemnisation des victimes, mais également, il lui permet de commencer à s’affranchir de la responsabilité qui, historiquement, lui a échu à ce chapitre. »
Force est de constater que le PL59 participe à déresponsabiliser les employeurs en matière de santé et sécurité au travail plutôt qu’à protéger les travailleurs et travailleuses.