Une caricature loin de la réalité

«Malheureusement, la caricature de Godin dénature le conflit opposant l’État d’Israël et l’organisation terroriste islamiste Hamas», écrit l'auteur.
Photo: Guillaume Levasseur Le Devoir «Malheureusement, la caricature de Godin dénature le conflit opposant l’État d’Israël et l’organisation terroriste islamiste Hamas», écrit l'auteur.

La publication dans notre édition du mardi 25 mai 2021 d’une caricature de Godin montrant un soldat israélien personnifiant l’État d’Israël, le genou sur le cou d’un civil palestinien couché au sol, a provoqué une vague de mécontentement importante dont Le Devoir prend acte. L’image-choc, publiée un an après le décès de George Floyd, et utilisée pour illustrer l’iniquité dans les rapports de force, a heurté la communauté juive. Nous publions aujourd’hui quelques-unes des nombreuses réactions qui ont suivi la diffusion de la caricature, en plus d’un message du directeur du Devoir..

 

Le 25 mai, lors du premier anniversaire de la mort tragique de George Floyd, Le Devoir a jugé approprié de publier une caricature de Godin sur laquelle un soldat apparemment israélien s’agenouille sur le cou d’un homme ressemblant à un Palestinien.

Une image vaut mille mots. Certes. Mais encore faut-il que l’image en question soit mise en contexte. Malheureusement, la caricature de Godin dénature le conflit opposant l’État d’Israël et l’organisation terroriste islamiste Hamas. Plutôt que d’utiliser sa plume pour essayer d’informer le public sur un sujet fort complexe, Godin a choisi de réduire le conflit israélo-palestinien à un meurtre. Les Palestiniens sont des victimes. Israël est leur meurtrier.

Cette caricature ne pourrait pas être plus loin de la réalité. Elle prétend résumer le conflit en une image, alors qu’elle ne fait que le simplifier à l’extrême, lui donnant ainsi mille mots, mais en en oubliant un très important, soit celui du principal responsable de la mort de Palestiniens au cours des dernières années à Gaza : Hamas.

Godin a-t-il oublié que pendant 11 jours seulement, le Hamas a tiré plus de 4300 roquettes sur des civils israéliens, juifs et musulmans, et qu’il utilise des civils palestiniens comme boucliers humains, commettant ainsi un double crime de guerre ? A-t-il oublié que ces roquettes ont toutes été tirées à partir de zones résidentielles densément peuplées et que des centaines d’entre elles sont retombées dans l’enclave même de Gaza, tuant des enfants ? A-t-il aussi oublié que, depuis déjà plusieurs années, le Hamas s’approprie de l’aide humanitaire destinée aux Palestiniens afin de construire d’autres armes ?

Il serait peut-être bien de lui rappeler que le Hamas est autant l’ennemi d’Israël que celui des Palestiniens.

Le récent cessez-le-feu entre Israël et le Hamas offre une chance de calmer les ardeurs et d’ouvrir un dialogue. Il est temps de promouvoir la voix d’acteurs modérés, non pas celles de groupes djihadistes comme Hamas. Au moment même où les tensions sont encore palpables, malgré le cessez-le-feu, la prudence est de mise. Une caricature comme celle de Godin omet non seulement de condamner la violence du Hamas, mais elle envoie le message que le groupe terroriste peut continuer ses attaques indiscriminées, et qu’Israël sera dépeint en meurtrier, invitant ainsi encore plus de violence.

Malheureusement, cette violence n’est pas restreinte par quelconques frontières géographiques. Elle s’invite ici même, dans les rues de Montréal et ailleurs au Canada. Il y a à peine une semaine, Michael Levitt publiait une lettre d’opinion dans le Toronto Star, dans laquelle il arguait qu’une couverture médiatique unilatérale contribue à alimenter l’antisémitisme au Canada. Cet antisémitisme, nous en avons été témoins pendant des manifestations soi-disant pacifiques lors desquelles des roches ont été lancées sur des juifs, et une vitre de l’édifice où se trouve le consulat général d’Israël à Montréal a été fracassée. Il s’est également infiltré dans les réseaux sociaux ainsi que dans certains de nos quartiers comme à Côte-Saint-Luc, où des individus se sont lancés à la chasse aux juifs, scandant ouvertement des propos haineux aux passants.

Les médias ont un rôle important dans nos sociétés démocratiques. Ils ont une obligation d’informer, pas de désinformer. Ils ne peuvent pas prétendre être des observateurs neutres des événements qu’ils rapportent. Ce qu’ils choisissent d’écrire ou, dans ce cas-ci, de dessiner a une incidence sur ces mêmes événements. Une image vaut mille mots. Il faut toutefois savoir peser ses mots.

 

Réponse du directeur du Devoir

Cher Consul,

J’ai pris connaissance de votre lettre et de celles qui nous ont été acheminées par des organismes représentatifs de la communauté juive et de nombreux lecteurs à la suite de la publication de notre caricature du 25 mai.

Je tiens à vous rassurer personnellement quant à la ligne éditoriale du Devoir et au rôle de notre média dans le débat d’idées. Nous ne cautionnons pas l’action terroriste du Hamas. Nous reconnaissons et nous supportons pleinement le droit de l’État d’Israël de vivre en sécurité. Nous appuyons toujours les principes derrière les accords d’Oslo, même s’ils paraissent, hélas, plus distants que jamais : sécurité contre territoire, et reconnaissance de deux États cohabitant en paix, Israël et Palestine.

Nous n’avions surtout pas la prétention de résumer, d’un trait de crayon, la complexité d’un conflit remontant aux temps bibliques. Nous n’avions certainement pas l’intention de blesser la communauté juive et d’accroître son sentiment d’insécurité, alors que des actes antisémites sont commis effrontément ici même à Montréal et sur les réseaux sociaux dépourvus de frontières. Nous condamnons ces gestes révoltants qui brisent un vivre ensemble auxquels nous adhérons. Nous nous engageons à en faire davantage, au cours des prochaines semaines, afin de rendre compte de ce phénomène inquiétant.

Dans la famille du journalisme d’opinion, la caricature est un genre particulier qui prête souvent flanc à la controverse, au Devoir comme dans d’autres médias. La caricature vise à la fois à émouvoir, à faire réfléchir, à déranger, à provoquer même. C’est un art que les caricaturistes exercent parfois au risque d’être mal compris, car leur rôle n’est pas de fournir la synthèse définitive des débats de l’heure, mais d’y introduire une lecture des événements au second degré, imagée et métaphorique. S’il est une chose qui ressort du dessin de Godin, c’est la critique, certes virulente, de la disproportion de la riposte par l’État d’Israël dans la reprise récente des hostilités dans la bande de Gaza.

Un seul dessin ne peut résumer à lui seul la couverture du Devoir. Tous les jours, dans la couverture factuelle et les opinions de nos journalistes et de nos collaborateurs, de même que dans la section Idées (ouverte à la collectivité), nous nous efforçons de présenter des points de vue équilibrés et diversifiés.

Cette vive réaction de la communauté juive nous invite à réfléchir sur les opportunités de rapprochement et de collaboration. Elle nous rappelle à notre devoir de vigilance à l’égard de la montée de l’antisémitisme, ce fléau que nous souhaitons combattre tout comme vous.

Nous croyons qu’il est possible d’y parvenir et de maintenir le lien de confiance avec la communauté juive, tout en permettant la critique des actions posées par l’ensemble des protagonistes du conflit israélo-palestinien.

Brian Myles

 

Directeur

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