Une modification de la Constitution souhaitable

De la récente proposition du ministre Simon Jolin-Barrette et, plus largement, du gouvernement du Québec en matière de langue (le projet de loi 96), nombre de commentateurs de la scène publique ont retenu tout particulièrement la proposition visant à inscrire dans la Constitution du Canada le fait que les Québécoises et les Québécois forment une nation (à l’instar de la motion adoptée par la Chambre des communes en 2006) et celui que le français soit la seule langue officielle du Québec et la langue commune de la nation québécoise.
Disons-le d’emblée, cette proposition serait parfaitement constitutionnelle si elle devait se formaliser, ainsi que l’a reconnu le premier ministre Justin Trudeau sur la base des opinions juridiques qu’il a reçues. Les décrieurs ou détracteurs du projet de loi au Canada dit anglais ont beau déchirer leur chemise, la réalité juridique implacable est que la proposition susmentionnée tomberait sous le couvert de l’article 45 de la Loi constitutionnelle de 1982 et pourrait être accomplie unilatéralement par l’Assemblée nationale du Québec.
Aucune exception applicable
L’article 45 en question permet effectivement à une législature provinciale d’apporter, par une simple loi, des modifications constitutionnelles touchant à « la constitution de sa province ». Cette dernière expression n’est définie nulle part, mais on peut tenir pour acquis qu’elle vise minimalement la partie V de la Loi constitutionnelle de 1867 intitulée « Constitutions provinciales ». Le concept de « constitution de la province » vise vraisemblablement bien d’autres mesures se trouvant dans la Constitution du Canada à proprement parler ou dans des lois provinciales de nature quasi constitutionnelle ou organique.
L’article 45 comporte cependant un certain nombre de limites explicites ou tacites. Ainsi, il ne s’applique que sous réserve des modalités complexes de modification constitutionnelle, soit la procédure de l’unanimité de l’article 41 de la Loi constitutionnelle de 1982, la procédure 7 / 50 du paragraphe 38 (1) et de l’article 42 ou la procédure sélective de l’article 43 de cette loi. Du reste, l’article 45 ne s’applique pas lorsque la modification envisagée ou la disposition que l’on souhaite modifier va au cœur du compromis fédératif de 1867 (affaire Blaikie), affecte la structure fédérale de l’État canadien ou les relations fédérales-provinciales, ou encore touche techniquement ou concerne une autre province.
Or, nous sommes d’avis qu’aucune des exceptions en cause ne s’applique dans le cas de la proposition du gouvernement Legault. En effet, cette dernière n’est en rien susceptible d’ébranler les fondements fédératifs du Canada. Elle ne concerne pas non plus d’autres provinces que le Québec. Elle a plutôt, il faut bien l’admettre, une portée limitée ; elle ne fait pour l’instant que reconnaître une grande réalité ou évidence, à savoir que les Québécoises et les Québécois forment une nation dont la langue officielle et commune est le français.
Soit dit en passant, s’il devait éventuellement y avoir l’adoption d’une véritable constitution du Québec — ce qui, à notre avis, serait hautement souhaitable —, celle-ci passerait par l’application du même article 45 de la Loi constitutionnelle de 1982. Cette constitution contiendrait cependant beaucoup plus que les seules affirmations politiques dont le gouvernement du Québec souhaite maintenant la constitutionnalisation.
Adhésion au rapatriement de 1982
Soulignons par ailleurs que la proposition du gouvernement québécois, telle que contenue dans son projet de loi 96, n’entraîne pas l’adhésion du Québec au rapatriement de 1982, pas plus que cela n’a été le cas lorsqu’il y a eu modification de l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 pour permettre la création de commissions scolaires linguistiques. Le fait est que la Loi constitutionnelle de 1982 s’applique intégralement au Québec — malgré son opposition à cette loi — et qu’il serait bien fou de ne pas l’utiliser et l’invoquer lorsque cela sert ses intérêts dans le contexte fédératif canadien.
Reste deux questions à répondre. La première porte sur le caractère supralégislatif ou non de la modification souhaitée par le gouvernement du Québec. La seconde concerne la valeur de cette modification sur le plan juridique.
Redorer son blason
Quant à la première question, il nous semble difficile de reconnaître une autorité supralégislative à une modification qui serait accomplie par la passation d’une simple loi provinciale. Pour qu’une modification constitutionnelle ait une telle autorité, encore faut-il qu’elle soit au-dessus des lois à proprement parler. Ainsi, la modification proposée par le Québec ne saurait contrevenir aux dispositions supralégislatives de la Constitution du Canada, dont l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867. Que la modification du Québec ne s’appliquerait que sous réserve de l’article 133 est une certitude, bien que ce soit tacite. Il n’est nul besoin de l’affirmer explicitement.
La deuxième question requiert une réponse plus nuancée. La réponse qu’il convient de lui apporter dépend essentiellement du poids que les tribunaux voudront bien donner à la modification à l’étude en matière d’interprétation constitutionnelle. Il est possible que les tribunaux se servent de ladite modification pour interpréter la Constitution du Canada sur des enjeux ne touchant que le Québec. Il est toutefois beaucoup moins certain qu’ils puissent le faire sur des aspects qui dépassent le Québec et qui, par exemple, toucheraient au cœur des relations fédératives. L’article 45 de la Loi constitutionnelle de 1982 a du potentiel certes, mais probablement pas à ce point.
Somme toute, nous sommes totalement favorables à la modification anticipée par le Québec, convaincu que nous sommes de sa constitutionnalité. Il s’agirait là, si ça devait se concrétiser, d’un geste d’affirmation unilatérale d’une nation qui, depuis l’échec de l’Accord du lac Meech en 1990, a bien besoin de redorer son blason.