Trois histoires de locataires plongées dans l’attente

Chaque mardi, Le Devoir offre un espace aux artisans d’un périodique. Cette semaine, nous vous proposons une version abrégée d’un texte paru dans la revue Siggi, printemps 2021, no 2.
Les médias font de plus en plus état des phénomènes qui fragilisent le rapport au logement des locataires, mais on entend peu la parole de celles et ceux qui les traversent au quotidien. J’ai ici voulu les laisser vous raconter ce qu’ils et elles vivent. De ces histoires, on peut reconnaître un élément en commun : l’attente.
Des Idées en revues

Chaque mardi, Le Devoir offre un espace aux artisans d’un périodique. Cette semaine, nous vous proposons une version abrégée d’un texte paru dans la revue Siggi, printemps 2021, no 2.
La reprise de logement
Jeanne, une femme à la retraite, prenait son café de l’après-midi quand elle a vu un homme installer la pancarte « à vendre » d’une agence immobilière devant son immeuble. Elle a tout de suite été prise d’un sentiment d’insécurité. En fait, elle n’était pas au courant que son propriétaire souhaitait vendre l’immeuble. Elle le connaissait bien et habitait le même appartement depuis trente ans. Elle se doutait qu’il allait un jour vendre, mais comme ils se parlaient régulièrement, la nouvelle fut un choc. À partir de ce moment, elle attendait l’appel du propriétaire qui lui annoncerait la vente de vive voix. Après deux semaines d’attente, Jeanne a reçu la lettre d’une entreprise immobilière affirmant être la nouvelle propriétaire de l’immeuble. Sans détour, l’entreprise annonçait que son logement serait repris pour cause de rénovation majeure, et ce, sans indemnisation. Elle a décidé de contester cette reprise auprès de la Régie du logement. Elle a attendu son audience sans trop y croire, le propriétaire ayant apparemment obtenu les permis pour le faire. Tout au mieux espérait-elle reporter le départ de juillet à décembre.
Cette attente s’effectue dans son appartement. Jeanne examine chaque pièce et les souvenirs qu’elle abrite et se demande : où me retrouverai-je ? Mon nouveau logement sera-t-il assez grand ? Pourrai-je y mettre tous mes meubles et mes souvenirs ?
La salubrité
Stéphanie habite depuis quelques années à Saint-Laurent avec sa mère et sa fille. Elles habitaient dans Côte-des-Neiges, mais elles ont dû quitter le quartier, le coût du loyer étant devenu trop élevé. Le nouveau logement n’était pas parfait, mais il y avait trois chambres et il était situé près de la ligne d’autobus qui amenait Stéphanie au travail. Mais voilà : les logements peu dispendieux coûtent parfois plus cher à long terme. C’est ce que Stéphanie allait constater. Quelques mois après leur arrivée, les locataires ont commencé à remarquer la présence de coquerelles. Malgré les tentatives de la famille pour exterminer les blattes, elles revenaient toujours. Stéphanie a alors interpellé le propriétaire. Après plusieurs messages et de nombreuses semaines, toujours pas de nouvelles. Elle a finalement réussi à éloigner les bestioles en laissant les lumières allumées pendant la nuit. À ce problème se sont ajoutés ceux de la cuisine. Le robinet de l’évier coulait sur le comptoir qui ramollissait et pourrissait. Croyant qu’il allait s’effondrer, Stéphanie a laissé un message au propriétaire. Sans résultat. Elle a fini par acheter et poser un nouveau comptoir. Elle a conservé la facture pour que le propriétaire la rembourse.
Dans l’attente, les questions fusent : Stéphanie devrait-elle appeler les inspecteurs de la Ville ? En parler aux voisins ? Quitter le logement ? Suspendre les paiements du loyer ?
La quête d’argent
Joëlle habite Saint-Laurent depuis son arrivée au Québec en 2003. Son mari est retourné au Sénégal après quelques mois, incapable de se trouver un travail. Elle habite un 5 ½ avec ses trois enfants et dort dans la même chambre que ses deux filles. Elle estime que son appartement est trop petit, mais elle ne trouve pas de logement à un prix abordable, ou du moins au prix de celui qu’elle occupe. Pas que ce dernier soit bon marché : pour payer le loyer chaque mois, elle s’engage dans une quête incessante de revenus. Il y a quelques années, pour quitter l’aide sociale, elle a suivi un cours pour devenir préposée aux bénéficiaires. N’ayant pas encore décroché un poste stable à temps complet, elle effectue des remplacements dans plusieurs établissements de santé de la région de Montréal. Les remplacements étant rares, elle doit accepter tout ce qui lui est proposé, peu importe l’emplacement. Elle part souvent tôt le matin pour revenir tard le soir, passe beaucoup de temps dans les transports et ne voit que très peu ses enfants. Lorsque ces journées sans emploi sont trop nombreuses, elle sait qu’elle aura besoin d’aide pour arrondir les fins de mois. Le recours aux banques alimentaires devient incontournable.
Joëlle se sent prise dans son logement, qui d’ailleurs nécessite des travaux. Elle ressent davantage l’isolement : « Ici toute la journée face à mes problèmes, c’est difficile », me confie-t-elle.
Généralement, lorsqu’on s’attarde aux problèmes de logement, c’est l’intervention de quelqu’un qui interpelle. Ici, c’est plutôt l’inaction — ou le fait qu’il « ne se passe rien » — qui façonne l’expérience de ces problèmes. Celle-ci est constituée de temps d’attente marqués par l’angoisse, pendant lesquels la locataire n’arrive plus à se projeter dans l’avenir. Ce sentiment donne l’impression aux locataires qu’elles sont des citoyennes de second rang à qui l’on peut manquer de respect. De leur côté, les propriétaires et les autorités, tant municipales, provinciales que fédérales, agissent comme si les problèmes de logement vécus par les locataires étaient négligeables, pratiquement futiles.
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