Il n’y aura pas de relance verte

« Relance verte » : telle est l’expression privilégiée ces derniers jours par les commentateurs du budget fédéral 2021 pour en souligner la principale orientation. Certains ont jugé l’effort insuffisant, d’autres l’ont salué avec enthousiasme. Mais les deux camps ont fait fausse route. Une « relance verte », cela n’existe pas et cela ne peut exister.
Que signifie cette expression ? Elle désigne en l’occurrence un soutien étatique à la croissance économique, c’est-à-dire à la production et à la vente de marchandises sur le territoire canadien, mais orienté de telle sorte que cette croissance n’implique pas en principe de nouvelles dégradations sur le plan écologique. Or, nous savons aujourd’hui que ces deux objectifs sont contradictoires.
Ces dernières années, des études scientifiques de plus en plus nombreuses ont examiné la possibilité de générer une croissance économique qui ne soit pas synonyme d’une détérioration de nos « ressources naturelles ». Leurs conclusions sont très claires et unanimes : quand il y a croissance du PIB, il y a croissance de la quantité de matière et d’énergie consommées, et de déchets produits.
Illusions vertes
Certes, en tenant compte uniquement d’un aspect du problème écologique ou de ce qui est produit sur un territoire restreint, il peut sembler qu’une« croissance verte » soit possible. C’est ainsi que l’économie québécoise pourra paraître plus « verte » que celle des autres provinces canadiennes ou celle des États-Unis voisins, tant que l’on se concentrera uniquement sur les émissions de CO2 générées sur le territoire que nous occupons.
Dès lors que l’on analyse l’ensemble des « pressions écologiques » créées par notre PIB, le tableau perd à peu près toute sa verdeur. Non seulement il donne à voir les « coûts environnementaux » non négligeables induits par l’hydroélectricité, entre autres, mais surtout il nous rappelle que l’activité économique québécoise repose sur une grande quantité de bien finis et semi-finis qui ont été produits ailleurs dans le monde.
En prenant en compte la totalité des ressources naturelles consommées pour ce faire et les déchets qui en ont résulté, la croissance québécoise apparaît comme l’une des plus désastreuses qui soit sur le plan écologique.
Cesser la course à la croissance
L’économie canadienne profitera sans doute des mesures budgétaires qui viennent d’être annoncées. Mais, si tel est bien le cas, la catastrophe écologique en cours ne fera que reprendre de plus belle. Il n’y aura donc pas de « relance verte » ou « propre ».
Cependant, et à l’instar du Ministère de la Vérité dans le fameux 1984 d’Orwell, dont la devise était, on s’en souvient, « La guerre, c’est la paix. La liberté, c’est l’esclavage. L’ignorance, c’est la force », nos gouvernements et leurs alliés tentent de nous convaincre avec cet oxymore que « la destruction, c’est la prospérité ».
Contre une telle aberration, il faut réaffirmer que la seule manière de garantir la soutenabilité ou la durabilité de notre mode de vie est de mettre un terme à la course à la croissance économique, et de fixer des limites à la production de ce qu’il nous faut pour vivre. Par souci de justice, une telle mesure doit en outre s’accompagner d’un partage bien plus équitable de nos moyens d’existence et le tout doit être décidé de manière strictement démocratique.
Produire moins, partager plus, décider ensemble : voilà qui constituerait les bases d’un programme politique certes très ambitieux, compte tenu de la rupture qu’il suppose vis-à-vis de l’ordre existant, mais bien plus crédible et réaliste que la promesse d’une « croissance verte » chimérique.
* Yves-Marie Abraham est l’auteur d’une synthèse récente sur la décroissance soutenable : Guérir du mal de l’infini (Écosociété, 2019).
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