Le Canada, incorrigible vendeur d’armes

«Le Canada a donc sa part de responsabilité dans le carnage perpétré dans la région du Haut-Karabakh», affirme l'auteur.
Photo: Associated Press «Le Canada a donc sa part de responsabilité dans le carnage perpétré dans la région du Haut-Karabakh», affirme l'auteur.

C’est donc après six mois d’enquête interne que le Canada a finalement annoncé lundi, le 12 avril, l’annulation des permis d’exportation d’armes vers la Turquie. L’enquête, demandée par François-Philippe Champagne en octobre 2020, alors qu’il était toujours chef de la diplomatie canadienne, a démontré que la technologie canadienne avait bel et bien été utilisée dans le cadre d’une offensive conjointe de l’Azerbaïdjan et de la Turquie contre les Arméniens du Haut-Karabakh à l’automne 2020.

La décision d’annuler ces permis est certes une bonne nouvelle, même si elle allait de soi à la lumière des centaines de pages de documents soumises au cours des dernières semaines par différents ministères au Comité permanent des affaires étrangères de la Chambre des communes. En effet, malgré la propension bureaucratique pour le caviardage, ces documents étaient si éloquents qu’on pouvait même se demander pourquoi l’enquête interne continuait de piétiner.

Ce serait une erreur, cependant, de juger l’affaire close. La gestion de ce dossier par le gouvernement canadien a démontré, encore une fois, à quel point celui-ci est prêt à se contenter de l’aveuglement volontaire pour justifier son appétit pour l’exportation d’armes. On se rappellera à cet égard les vaillants efforts du professeur Daniel Turp pour contester la vente de véhicules blindés à l’Arabie saoudite et le trop peu de poids accordé aux considérations humanitaires dans les calculs du ministre.

Or, depuis cette histoire, et après la signature par le Canada du Traité sur le commerce des armes en 2019, le Canada a modifié sa Loi sur les licences d’exportation et d’importation, notamment afin d’y préciser que le ministre ne peut délivrer une licence d’exportation lorsqu’il existe un « risque sérieux » que l’exportation en question puisse servir, entre autres, à commettre une violation grave du droit international humanitaire ou des droits de la personne — ou à faciliter sa commission — ou porter atteinte à la paix et à la sécurité. Cette modification devait, en théorie, éliminer la très grande marge de manœuvre que la loi accordait au ministre et à ses fonctionnaires, qui n’étaient précédemment tenus qu’à « considérer » de tels risques, sans pour autant avoir à refuser l’émission d’une licence.

Revenons au cas qui nous occupe. Le ministre Champagne a signé l’autorisation d’exporter de la technologie canadienne WESCAM (du producteur ontarien L3 Harris) en mai 2020, accordant ainsi une exemption à un embargo généralisé de ventes d’armes à la Turquie instauré en 2019 par les principaux alliés du Canada, en réponse à l’incursion turque en Syrie.

Le ministre pouvait-il raisonnablement penser, en mai 2020, qu’une technologie pour drones militaires dans les mains d’un gouvernement turc de plus en plus belliqueux n’était pas liée à un risque sérieux de violations du droit international humanitaire ou des droits de la personne ? Quelle preuve a pu convaincre nos fonctionnaires que l’exportation de cette technologie, qui n’était pas exigée dans le cadre d’une collaboration de l’OTAN, était à ce point sécuritaire qu’on pouvait se permettre de s’extirper d’un embargo multipartite ? Selon un mémorandum soumis par la sous-ministre des Affaires étrangères au ministre Champagne, on s’est tout simplement fié aux « assurances » données par nul autre que le ministre turc des Affaires étrangères ! Décidément, la tentation de vendre des armes était tout simplement trop forte pour qu’on pose davantage de questions, et au diable les conséquences !

La suite est, bien sûr, déjà connue. La Turquie, plutôt que d’utiliser la technologie pour protéger la population à Idlib, en Syrie, comme le prétendait le bienveillant ministre turc des Affaires étrangères, l’a plutôt redirigée vers l’Azerbaïdjan, afin que l’autocrate Ilham Aliyev s’en serve pour tenter de nettoyer le territoire du Haut-Karabakh de sa population arménienne. Aujourd’hui, le ministre Garneau reconnaît que les garanties reçues par son prédécesseur étaient de la frime.

Le Canada a donc sa part de responsabilité dans le carnage perpétré dans la région. Bien malgré lui, diront certains. Par cupidité ou avarice, rétorqueront d’autres.

Qu’en est-il de la suite ? Assisterons-nous à la fin de cette culture obstinément mercantile ancrée au sein d’Affaires mondiales Canada ? La réaction du ministre Garneau nous permet déjà d’en douter. Après avoir fait état de sa « déception » auprès de son homologue turc, le ministre a exprimé son désir de « mettre en place un mécanisme de dialogue entre les responsables canadiens et turcs [qui] permettra d’établir une confiance mutuelle et une plus grande collaboration en ce qui a trait aux licences d’exportation ». Bref, passons à la prochaine commande, le plus vite possible !

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