Taxer les riches

«Taxer les riches plus fortement permettrait à la fois de lutter contre les inégalités et de régler une partie de nos problèmes de finances publiques», estime l'auteur.

 
Photo: Olivier Zuida Le Devoir «Taxer les riches plus fortement permettrait à la fois de lutter contre les inégalités et de régler une partie de nos problèmes de finances publiques», estime l'auteur.

 

Nicolas Marceau est professeur titulaire au Département des sciences économiques de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM. Il a également été ministre des Finances et de l’Économie dans le gouvernement québécois.

Après la pandémie, le retour à la normalité s’accompagnera de débats sur ce qu’il faudrait faire pour rétablir nos finances publiques. Car si les déficits de 2019-2020 auront avec raison été « passés à la dette », des pressions s’exerceront certainement pour que nous résorbions ceux prévus dans les prochaines années. Or, une voie raisonnable pour résorber les déficits futurs serait de récolter des revenus supplémentaires. Mais se pose alors la question de savoir d’où ils proviendraient.

Quant à moi, je crois que la réponse se trouve en bonne partie dans la hausse des inégalités observée au Québec et au Canada entre 1992 et 2018, résultat d’une croissance des revenus très inégale parmi les familles. Qu’on en juge avec ces quelques chiffres. Au Québec, la croissance du revenu réel après impôts des familles se situant tout en bas de la distribution des revenus (percentiles 0 à 5) n’a été que de 15 % pendant cette période. Pour les familles du milieu de la distribution (percentiles 45-50), cette croissance a été de 24 %, alors que pour celles tout en haut de la distribution (le 1 % supérieur, soit les percentiles 99-100), elle a été de 77 %. Bref, plus on grimpe dans la distribution des revenus, plus la croissance des revenus a été élevée. Notons que les chiffres pour l’ensemble du Canada sont très similaires. Notons aussi qu’on ne connaît pas encore l’impact de la pandémie sur les inégalités, mais qu’il y a des facteurs qui pointent vers une nouvelle détérioration : pertes d’emplois chez les bas salariés, redressement des marchés boursiers, appréciation de la valeur des immeubles.

Ces constats de plus grandes inégalités et de l’enrichissement des plus riches mènent à une conclusion très naturelle : c’est d’abord vers les plus fortunés qu’il faut se tourner pour augmenter les revenus de l’État. Pour trois raisons. D’abord parce qu’il faut bien sûr tenir compte de la capacité de payer. Les plus fortunés ont la capacité de payer, alors que celle-ci décroît au fur et à mesure que les revenus diminuent. Pour cette raison, il faut d’abord cibler les plus fortunés.

Ensuite parce qu’une personne au revenu modeste attribue à un dollar une valeur plus grande que celle que lui attribue une personne fortunée. Si on doit prendre un dollar à quelqu’un, autant le prendre à celui qui lui attribue la valeur la plus faible, en l’occurrence le plus fortuné. De cette manière, on réduit le coût économique de la taxation.

Enfin parce qu’en augmentant les impôts des plus fortunés, on réduit les inégalités de revenus après impôts. Or, l’OCDE a montré qu’une réduction des inégalités était associée à une croissance économique plus forte. En taxant les riches, et en réduisant en conséquence les inégalités, on pourrait donc bénéficier d’un supplément de croissance bienvenu dans le futur.

Reste à déterminer la manière de taxer plus fortement les riches.

Il a été proposé de mettre en place un nouvel impôt annuel sur le patrimoine des personnes fortunées. Mais un tel impôt pose problème. D’abord, sur le plan administratif, il y a la difficulté, réelle, de mesurer la valeur du patrimoine. Par exemple, que vaut une entreprise privée jamais mise en vente ? Il n’y a pas de réponse simple à cette question. Ensuite, une proportion importante du patrimoine des plus fortunés est constituée d’immeubles. Mais puisqu’on a déjà l’impôt foncier, les immeubles seraient taxés deux fois avec un nouvel impôt, créant ainsi des distorsions. Enfin, une personne peut détenir un patrimoine important, mais disposer de peu de liquidités. Il serait à l’évidence inefficace que, pour pouvoir acquitter un impôt sur le patrimoine, son détenteur soit forcé de le liquider.

55 %

Ce sont les gains en capital déclarés, qui l’ont été par les contribuables du 1 % les plus fortunés, au Canada en 2017.

Pour taxer les riches, il serait plus avantageux d’augmenter les impôts existants. Nous taxons déjà le revenu du capital, qu’il prenne la forme d’intérêts, de dividendes ou de gain de capital. Or, pour aucune raison valable, les gains en capital bénéficient d’un traitement fiscal plus avantageux que les autres formes de revenu. En augmentant l’impôt sur les gains en capital, on pourrait corriger cette anomalie. Cela pourrait être aisément accompli, sur le plan administratif, en augmentant le taux d’inclusion de ces gains dans le revenu imposable, de 50 % à 75 %.

Une telle hausse instaurerait une quasi-neutralité de la taxation des différentes sources de revenu, ce qui améliorerait la performance de notre économie. Et on ciblerait ainsi les plus riches. Par exemple, en 2017, au Canada, 55 % des gains en capital déclarés l’ont été par les contribuables du 1 % les plus fortunés. Il est estimé qu’en augmentant le taux d’inclusion à 75 % pour les particuliers et les sociétés, tout en maintenant l’exemption actuelle pour les résidences principales, des revenus supplémentaires de 15,8 milliards de dollars pourraient être récoltés au Canada, une somme considérable.

Si on allait de l’avant avec une telle mesure, il faudrait cependant prendre soin d’introduire des dispositions pour éviter d’accroître l’impôt des personnes de la classe moyenne qui réalisent des gains en capital.

Taxer les riches plus fortement permettrait à la fois de lutter contre les inégalités et de régler une partie de nos problèmes de finances publiques. Je suis absolument convaincu que c’est par là qu’il faut commencer.


Les chiffres du deuxième paragraphe paraîtront prochainement et ils proviennent de Finances of the Nation, un site dédié aux finances publiques canadiennes.
À l’avant dernier paragraphe, l'information provient de Michael Smart (2021), « It’s Time to Increase Taxes on Capital Gains », Commentary, Finances of the Nation, 7 janvier, en ligne:

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