Souvenons-nous pour qui nous avons créé les soins intensifs

«La prise de conscience que notre système de soins intensifs a atteinte un certain cycle de vie nous donne l’occasion de recréer une organisation adaptée aux besoins de la population», écrivent les auteurs.
Photo: Armando Franca Associated Press «La prise de conscience que notre système de soins intensifs a atteinte un certain cycle de vie nous donne l’occasion de recréer une organisation adaptée aux besoins de la population», écrivent les auteurs.

Il y a quelques semaines, un article abordait le sujet délicat d’éventuellement trier les patients à admettre aux soins intensifs. Réaliser que notre système de santé, particulièrement touché par la crise de la COVID-19, pourrait être submergé nous confronte à des choix éthiques difficiles. Avons-nous atteint notre limite de service à la population ou pouvons-nous saisir l’occasion de nous adapter ? L’exemple d’initiatives récentes (télémédecine, réorganisation d’effectifs, mobilisation d’étudiants) montre nos capacités à pallier certaines carences, alors que les retards de chirurgies se sont accrus. Mais au-delà des décisions d’admission aux soins intensifs et du bénéfice pour chacun de tels traitements, nous souhaitons présenter une réflexion sur nos fonctionnements.

Sans vouloir prétendre à des réponses toutes faites, nous posons un regard différent sur l’environnement où nous travaillons, particulièrement touché en raison de la prise en charge des patients les plus critiques. Clarifions d’abord deux éléments :

1. Notre système n’a jamais manqué de lits physiques ou de ventilateurs ;

2. La ressource limitante principale est le savoir-faire des équipes, incluant les effectifs nécessaires pour prodiguer des soins complexes. Cela, sachant que le nombre de soignants est une ressource qui reste constamment difficile à combler.

L’unité de soins intensifs prend en charge les patients critiques à l’aide de ressources dédiées et sophistiquées, de professionnels réunis sur un même lieu, permettant une surveillance continue et des soins de haute intensité. Cependant, au cours des dernières décennies, les processus, les tâches et les examens liés aux soins avancés se sont multipliés, augmentant la charge de soins complexes. Les unités se sont dotées de nombreux soignants et les interactions grandissantes sont venues alourdir le système. Nous percevons cependant une propension à un fonctionnement médico-centrique, fragmenté, basé sur des rôles et des schémas rigides de gestion, les responsabilités étant perçues de manière différente par chacun. […] L’efficacité de nos soins ne peut plus reposer uniquement sur les épaules de l’humain, vu la quantité des processus imbriqués. De plus, les prises de décisions dans des conditions incertaines, pour des patients présentant de multiples affections médicales, nécessitent de la disponibilité de la part des soignants. La présence de contraintes qui s’opposent à ces besoins occasionne de plus en plus de stress et d’anxiété, fragilisant les équipes. Les schémas institutionnels de fonctionnements et la soumission aux processus seuls ne peuvent plus être appliqués tels quels. Certaines habitudes sont caduques et empêchent notre système d’évoluer. Particulièrement, la façon redondante de documenter les mêmes informations relatives au patient par plusieurs professionnels, l’utilisation de dossiers papier encore en vigueur, le mode de surveillance figé dans des processus anciens, la coordination fragmentée, la délégation médicale unidirectionnelle, et certainement d’autres. Des supports existent déjà, particulièrement des technologies de surveillances et de collectes de données automatiques, ainsi que des logiciels de prescription électronique des médicaments et d’outils d’aide à la standardisation. Ceux-ci sont déjà utilisés dans certains établissements (l’hôpital Sainte-Justine), ainsi que dans d’autres provinces ou pays depuis plus de deux décennies.

La prise de conscience que notre système de soins intensifs a atteinte un certain cycle de vie nous donne l’occasion de recréer une organisation adaptée aux besoins de la population. Sommes-nous prêts à transformer nos fonctionnements pour servir nos patients, au lieu de nous soumettre au carcan des ressources perçues ? Sommes-nous prêts à abandonner certaines habitudes ou certains schémas de comportement professionnels ? Pouvons-nous proposer une approche de gestion intradisciplinaire et multidisciplinaire ? Ces questions ouvrent la voie à l’innovation et à la possibilité de créer de nouveaux cheminements de soins, qui intégreront les choix éthiques difficiles.

La collaboration des équipes, axée sur la communication et le partage des connaissances, accompagnée d’innovations communes, permettra de créer une culture prête au changement. Il est nécessaire de nous recentrer sur les besoins des patients et de leurs familles, mais également sur la manière dont les professionnels souhaitent s’impliquer dans le système de soins ou progresser dans l’évolution de leur carrière. Par exemple, l’organisation des équipes pourrait s’élaborer en fonction de leurs besoins en horaires et leur adaptabilité naturelle.

Nous aspirons à créer un débat, un espace de réflexion, et d’entreprendre cette transformation, tant sur les plans managérial et médical que sur celui de la gestion des ressources humaines. C’est maintenant l’occasion du changement, afin de progresser vers un nouveau cycle de fonctionnement. Mais souvenons-nous d’abord : « Pour qui avons-nous créé les soins intensifs ? » Changeons notre système pour mieux servir notre population.

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