Le masque sort du chapeau

«J’observe de près la gestion de la pandémie dans le milieu scolaire depuis bientôt un an, j’ai souvent trouvé qu’on en faisait trop peu… Mais l’inconstance de nos dirigeants n’en finit plus de me sidérer», affirme l'autrice.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir «J’observe de près la gestion de la pandémie dans le milieu scolaire depuis bientôt un an, j’ai souvent trouvé qu’on en faisait trop peu… Mais l’inconstance de nos dirigeants n’en finit plus de me sidérer», affirme l'autrice.

L’indulgence m’avait presque gagnée. Le gouvernement Legault allait jeter un peu de lest pour la relâche en permettant des activités sécuritaires, qui n’allaient logiquement pas engendrer de hausse decas si la population continuait de suivre les règles. Puis, bam ! Un article nous apprend que le port du masque sera bientôt obligatoire en classe pour tous les élèves du primaire en zone rouge.

C’est la faute au variant britannique. Plus contagieux, il est maintenant responsable de 10 % des cas de COVID-19 dans la grande région de Montréal ; ceux qui en sont atteints sont à 40 % des enfants de 0 à 17 ans… et à 20 %, leurs parents. Ça change bien sûr la donne. Maintenant qu’on crible tous les tests à la Santé publique de Montréal, on ne peut plus nier que la transmission des enfants vers les adultes existe, même si notre ministre de l’Éducation a précédemment balayé du revers de la main des parents qui en ont témoigné — non, Monsieur Roberge, je n’ai pas contracté le virus « d’un oncle ou d’une tante », comme vous l’avez dit à la radio ; je l’ai bel et bien attrapé par ma fille, touchée par l’éclosion à son école. Bref, maintenant qu’on ne peut plus nier, on ne peut plus rester les bras et les doigts croisés.

Oh, des actions, enfin ! C’est vrai qu’il faut éviter que ce variant se propage, retarder le plus possible le moment où il dominera. Mais qu’un gouvernement qui refuse d’attester la transmission par aérosols, qui se borne à ne pas investir en ventilation depuis un an et qui empêche les classes d’utiliser des purificateurs d’air achetés par les parents rejette maintenant le plein fardeau du frein de la propagation sur des enfants de 10 ans et moins est inacceptable. Le poids de la réussite collective repose encore une fois sur le comportement des individus, sauf que, cette fois-ci, certains n’ont pas encore atteint l’âge de raison.

Parce que, bien sûr, toujours en gouvernant le nez collé sur l’arbre plutôt qu’en survolant la forêt, on introduit le port du masque en classe après avoir changé la pondération pour accorder plus d’importance à la seconde partie de l’année… Qu’en sera-t-il de la concentration des jeunes de premier cycle masqués, des hypersensibles qui n’endurent pas même un jean ou un col un peu rêche, des écoliers ayant un trouble du spectre de l’autisme ? Qu’en sera-t-il de l’anxiété de certains, de leur santé mentale déjà éprouvée, de leur estime d’eux-mêmes quand ils verront leurs notes baisser ?

Les familles sont sur la brèche, les profs sont à bout de souffle ; le personnel enseignant passe déjà ses journées à rappeler aux jeunes élèves de se désinfecter les mains, de ne pas partager leur collation, de ne pas trop s’approcher de leurs voisins… et il devra gérer le port du masque d’enfants qui peinent à attacher leurs souliers ? Qu’on s’entende : le masque est une mesure efficace en soi — et l’hypoxie est une fiction. Mais il y avait tant de solutions possibles en amont pour éviter ce nouveau plaster sur un bras coupé.

La résilience devant l’inconstance

J’observe de près la gestion de la pandémie dans le milieu scolaire depuis bientôt un an, j’ai souvent trouvé qu’on en faisait trop peu… Mais l’inconstance de nos dirigeants n’en finit plus de me sidérer : on refuse d’installer des purificateurs d’air sous prétexte qu’ils peuvent causer plus de tort que de bien et que le bruit risque de déconcentrer, mais on va demander à des enfants de six ans d’être masqués huit heures par jour comme si ça n’allait pas les gêner ? On élude complètement la question de la ventilation dans les protocoles en milieu de travail de la CNESST (les collègues peuvent encore manger ensemble, non masqués, à deux mètres « si possible »), on laissele personnel de la santé passer des zones chaudes aux zones froides, on refuse les demi-classes, on use d’une méthodologie douteuse pour évaluer la qualité de l’air, mais le masque porté quarante heures par semaine par des tout-petits qui le replaceront sans cesse, pas de problème ?

Dans mon entourage, les parents d’enfantsavec un trouble du traitement sensoriel veulent se défenestrer. On devrait aller le faire à l’école, ce serait bien pour les changements d’air, non ? Mais non, on va prendre sur nous, comme d’habitude. Nous déploierons l’énergie que nous n’avons plus à convaincre notre enfant que tout va bien aller, qu’il va réussir à être à l’aise, que la buée sur ses lunettes ne l’empêchera pas de bien voir… et nous le ramasserons à la petite cuillère le soir venu quand il décompensera parce qu’il s’est contenu toute la journée, n’a rien retenu de la matière enseignée, a multiplié les conflits parce que, le masque au visage de 8 à 4, c’est tout son être qui est à fleur de peau. Oui, les écoles seront prêtes, comme d’habitude. Oui, j’ai confiance en leur gestion du matériel. Oui, le port du masque chirurgical est un geste barrière efficace que j’adopte moi-même. Mais je crains que le gouvernement se rabatte sur la présente solution pour éviter de régler d’importants et coûteux problèmes d’infrastructures dans l’attente du Saint Graal : une couverture vaccinale suffisante.

D’ici là, au nom du bien commun, les parents d’enfants hypersensibles enverront leur progéniture chez le psy, à leurs frais, puis en ergothérapie, à leurs frais, puis ils iront eux-mêmes consulter parce que leur mèche raccourcit de jour en jour et qu’ils ne savent plus où donner de la tête pour convaincre leurs enfants que c’est temporaire, quand on se doute bien qu’ils seront encore masqués en juin, en pleine canicule, dans leurs classes vétustes. Et ça, c’est pour ceux qui en ont les moyens.

Souhaitez-nous bonne chance. Mais, pour l’amour, chers dirigeants, arrêtez de vous octroyer une note parfaite pour la gestion de cette pandémie quand vous êtes derniers de classe. L’heure est venue d’utiliser les 432 millions du fédéral pour s’attaquer aux problèmes de fond, car il y aura d’autres automnes, d’autres hivers et d’autres pandémies. Les enfants ont assez payé pour l’improvisation des adultes qui nous gouvernent.

À voir en vidéo