Pourquoi étudier en littérature

À qui de droit, et aux autres aussi,
Je suis étudiante au baccalauréat en études littéraires à l’UQAM, oui, cela fait maintenant trois ans que je mène à bien ce projet aussi édifiant que décevant.
Moi, je suis de ceux qui sont là par désir d’écriture, qui, humblement ou pas, portent en eux la prétention infamante de la publication. Il s’agit déjà d’une minorité, ce qui n’a jamais fini d’étonner, parce que, souvent, il y a l’idée toute faite selon laquelle le littéraire ne saurait se camper du côté de la passivité, mais les tenants des théories de l’interprétation seraient bien fâchés d’entendre cela : le lecteur investit le texte de tout son être, il est la part nécessaire à l’actualisation d’une parole couchée sur papier. Plus encore, il insuffle au texte une vie qui lui appartient, c’est une rencontre, un échange parfois honteux de fluides, de souvenirs, de repères sociaux et culturels qui permettent ou non la connivence. Et, de toute façon, tout écrivain est d’abord grand lecteur, c’est connu. Je dirais même que le grand lecteur qui ne désire pas l’écriture porte en lui le nécessaire des grandes œuvres. L’enjeu est de savoir se laisser toucher par les mots, le reste importe peu.
Alors voilà, on s’avance en ateliers de création littéraire en ne sachant pas que les inclinations, les raisons qui nous y poussent, sont multiples, contradictoires, irréconciliables. On apprend, entre autres choses, que nous ne sommes pas faits de la même trempe, du même bois, de la même matière textuelle, c’est-à-dire biographique. On ne se prend pas la tête pour cela, on se réfugie dans nos mécompréhensions mutuelles, on se dit que l’écart entre deux démarches d’écriture est aussi marqué qu’entre deux disciplines. On nous enseigne qu’il s’agit moins de défendre une conception de la littérature de façon hégémonique que de se rendre disponible, réceptif, aux voix des autres, à leurs projets d’écriture qui, à n’en pas douter, ne ressembleront en rien à ce qui nous meut. La question se posera donc ainsi : tout individu étant porteur d’une voix, comment arrivera-t-il à l’élever, à la caractériser de sorte qu’elle parvienne à porter au dehors son projet qui lui revient, lui appartient, ne saurait en aucun cas être réalisé par un autre ?
J’étudie la littérature dans un cadre institutionnel, car on n’y échappe pas, à l’impératif de faire et de devenir. J’étudie la littérature aujourd’hui, car je l’ai dédaignée lorsque j’étudiais la philosophie. J’étudie la littérature parce que je désire m’approprier les outils théoriques qui me permettront de défendre sauvagement ce que l’on m’a reproché en philosophie : l’impressionnisme de ma plume.
Je ne suis plus à l’étape d’espérer y trouver quelque chose. Oui, je cherchais des réponses, des outils, des mentors aussi, je n’ai rien trouvé de cela à l’université, je l’ai trouvé dans les livres. Mon parcours universitaire a été un prétexte pour me plonger maladivement dans les textes, pour m’y consacrer absolument, en faire un projet de vie. Les professeurs ne m’ont pas impressionnée, non, ils ont été émouvants, ont fait part de leur expertise, m’ont fait profiter de leur culture encyclopédique, mais jamais il n’a été question d’un projet existentiel, jamais il n’a été question de l’avenir non plus. Dans le cours introductif de méthodologie, on nous a mis en garde, on nous a dit que la majorité d’entre nous ne publiera pas, n’œuvrera pas dans le milieu littéraire, ne finira pas même le baccalauréat. On nous a parlé de la précarité des écrivains, des élus, de l’institution littéraire, de l’enseignement aussi, de ce fantasme, des portes fermées, des postes dont la permanence n’advient qu’après des années de dur labeur à monter des cours quelques jours avant le début des classes. Personne ne nous a dit que le monde espérait notre écriture, personne ne nous a promis que l’on parviendrait à dire ce que nous ressentions que nous avions à dire. C’était chacun pour soi, ça l’a toujours été. Ils ne savaient pas comment nous dire que l’écriture ne s’enseigne pas, que c’est une façon de penser.
Je continue, je sais que je serai de ceux qui publieront, éditeur ou pas, ce n’est pas un désir, c’est une nécessité, je sais que j’œuvrerai dans le milieu littéraire, je sais que je ne cesserai jamais d’écrire, que ce n’est pas l’institution qui m’a donné cette envie, que ce n’est pas l’institution qui m’en a donné les moyens, mais j’y rencontre l’expression de ce que je ne veux pas devenir, je lis les textes que certains condamnent, je les visite, les aime parfois, les laisse entrer en relation avec ma subjectivité, permets à mon jugement de se former à leur contact. C’est en cela que la censure est absurde. Un texte est une scène, un lieu, un paysage, un endroit où se mouvoir et se constituer, il faudrait savoir ne pas condamner des lieux arides, simplement parce que nous ne savons plus nous chausser. J’ai lu Sade, Céline, Nabokov, j’aurais pu lire autre chose, aucun livre n’est nécessaire jusqu’à ce qu’il le devienne, par souvenirs des émotions complexes ressenties, par souvenirs des efforts qu’il nous a fallu déployer pour accueillir cette voix altière, l’entendre vibrer, essayer d’en comprendre le timbre, la matière, le projet, en faire un miroir contre lequel se voir, ou se détourner.
Ne pas couper la parole, laisser l’infâme s’écrire, se dire,
Permettre le déboire, et la réparation.