Des caméras portatives pour le SPVM, une solution trompeuse

Les soulèvements contre le racisme et la violence de la police, provoqués l’été dernier par le meurtre de George Floyd, ont engendré plusieurs discussions sur les réformes policières. Une des réformes les plus populaires repose sur les caméras portatives, une technologie dont l’utilisation sera débattue lundi au conseil municipal de Montréal. Si cette réforme suscite beaucoup d’intérêt, les études démontrent qu’elle est bien loin d’être une solution miracle au profilage racial et à la violence policière.
Ces caméras sont des appareils portés par les policiers sur leurs uniformes, au niveau du torse. Habituellement, les agents eux-mêmes doivent activer la caméra pour lancer l’enregistrement vidéo, et ce sont les départements de police qui développent les politiques et protocoles qui déterminent quand l’enregistrement doit être fait, et pour quelle durée. Il existe aussi de nouveaux modèles programmés pour enregistrer dès qu’un agent dégaine son fusil ou son arme à impulsion électrique. Les séquences vidéo sont téléchargées sur des serveurs, gérés par le département de police ou par une compagnie privée, et elles sont stockées pour une durée de temps déterminée par la politique du département en question.
Puisque les vidéos virales de violence policière ont récemment attiré tant d’attention sur les médias sociaux, l’idée de fournir plus de caméras pour documenter encore plus d’interactions policières peut sembler prometteuse. Malheureusement, les données disponibles indiquent qu’il s’agit d’une mesure inefficace. La plupart des études indiquent que les caméras portatives n’ont aucun effet significatif sur l’utilisation de la force (violence) par la police. Étonnamment, selon les données de l’étude la plus complète, l’effet le plus significatif de cette technologie est d’augmenter de 15 % la probabilité d’agressions violentes contre les agents du service de police.
Le fait le plus marquant : les caméras portatives n’augmentent pas la probabilité que des policiers soient sanctionnés ou traduits en justice pour des bavures, des actes racistes ou violents. Une étude publiée en 2019 dans le Yale Law Journal indique que, dans le cas d’une inconduite policière, les membres d’un jury à qui l’on montre des preuves vidéo incriminantes ne seraient pas plus susceptibles de reconnaître l’accusé coupable que si on leur avait présenté des preuves d’autres types (par exemple, un témoignage de la victime). Les Montréalais n’en seront pas surpris. Depuis 2014, au moins trois décès aux mains du SPVM ont été filmés par des caméras de sécurité ou des cellulaires. Aucun des policiers impliqués n’a fait face à des mesures disciplinaires ni à des accusations criminelles.
Si les caméras portatives ne réduisent pas les incidences de profilage ou de violence policière, elles ont bien d’autres effets. Notamment, elles augmentent les budgets des services de police et grossissent les rangs du personnel. En 2016, un projet pilote a équipé 78 policiers de ces fameux appareils, et il fut déterminé que le coût de la mise en œuvre du programme pour l’ensemble du département serait de 24 millions de dollars par année, sans compter l’embauche de 200 nouveaux policiers pour organiser les vidéos et superviser le programme. Alors que la majorité des Canadiens soutiennent le définancement de la police et le réinvestissement dans des programmes communautaires, les caméras portatives sont une des nombreuses justifications utilisées par les départements pour obtenir plus d’argent et plus de policiers.
Si l’on vise à prévenir et à minimiser les répercussions du profilage racial et des bavures policières, il faut reconnaître qu’introduire ces caméras, c’est mettre entre les mains des agents une arme de plus contre les gens qu’ils ciblent — justement ou injustement. Le plus fréquemment, les vidéos enregistrées ne sont pas utilisées, comme certains partisans des caméras le suggèrent, dans des procès menés contre des policiers, mais plutôt contre des individus arrêtés ou visés par la police. Ces vidéos peuvent aussi être utilisées pour façonner l’opinion publique à l’heure où le soutien de la population pour l’institution de la police n’a jamais été aussi bas. Effectivement, le SPVM est en faveur des caméras portatives parce que le matériel produit par ces appareils peut être utilisé pour contrer l’effet des images enregistrées par les citoyens et diffusées sur les médias sociaux.
Plus que tout, les caméras portatives détournent l’attention des questions fondamentales soulignées par le mouvement pour définancer la police. Qu’est-ce qui contribue réellement à rendre nos communautés sécuritaires ? Qui sont les mieux placés pour garantir cette sécurité ? Les partisans des caméras préfèrent ignorer ces questions et y substituer une solution technologique coûteuse. Tout au plus, cela fera circuler davantage d’images du racisme et de la violence policière qui perdure au Canada depuis plus d’un siècle.