À Québec, comment faire dérailler le tramway

Quand le gouvernement caquiste est élu en octobre 2018, le projet de tramway de la Ville de Québec est déjà bien avancé, précise l'auteur.
Photo: Ville de Québec Quand le gouvernement caquiste est élu en octobre 2018, le projet de tramway de la Ville de Québec est déjà bien avancé, précise l'auteur.

Le gouvernement Legault n’a jamais aimé le projet de tramway élaboré par l’administration Labeaume sous l’ancien gouvernement libéral. Il voue aux gémonies tout ce qui a été mis en place sous les administrations Charest et Couillard, entretient une relation bancale avec le maire Labeaume et a fait la promesse électorale de créer entre Québec et Lévis un troisième lien. Or, pour la CAQ, une promesse électorale est aussi sacrée que les Tables de la Loi. De plus, on y est très sensible à la cabale anti-tramway entretenue depuis des années par les radios d’opinion, où niche une large proportion de ses partisans.

Quand le gouvernement caquiste est élu en octobre 2018, le projet de tramway de la Ville de Québec est déjà bien avancé : en mars, le maire Labeaume a présenté, conjointement avec le gouvernement Couillard et le gouvernement fédéral, qui contribuent respectivement à hauteur de 1,8 et 1,2 milliard, les grandes lignes du projet, dont le réseau ferré de 23 kilomètres reliant Charlesbourg à Cap-Rouge en passant par la Haute-Ville est le cœur.

Mais dès son assermentation, le gouvernement Legault se met à faire la fine bouche et favorise plutôt la promotion de son troisième lien, un projet onéreux et techniquement complexe que les experts en développement urbain et des transports décrient à l’unisson. Pendant ce temps, le chef de l’opposition à l’Hôtel de Ville de Québec, Jean-François Gosselin, continue son travail de sape contre le tramway, auquel il voudrait substituer des améliorations au réseau d’autobus du RTC liées à la création du 3e lien. Il réclame à hauts cris que l’élection municipale de novembre 2021 devienne une élection référendaire sur le tramway.

M. Gosselin est un ancien de l’ADQ, élu en 2007, dans la même fournée que les actuels ministres Caire et Bonnardel, ce dernier aux Transports. C’est aussi un aficionado des radios d’opinion. Son électorat est proche de celui de la CAQ. Son parti est lourdement intervenu devant le BAPE pour lui demander de rejeter le projet de tramway et a incité les opposants de tout acabit à y présenter des mémoires.

Flou sur les banlieues

 

En novembre 2020, le BAPE remet un rapport négatif, mais fortement critiqué, qui recommande au gouvernement d’écarter le projet Labeaume et d’explorer d’autres avenues.

Le gouvernement Legault tire profit de ce rapport pour déclarer qu’il va revoir l’ensemble du projet dans le but de promouvoir une meilleure desserte des banlieues, sans préciser de quelles banlieues il s’agit. Il lance aussi de temps à autre des imprécations plus ou moins claires ou documentées contre le terminus Legendre ou la ligne de Charlesbourg, qu’il suggère de faire bifurquer vers Lebourgneuf. Puis, il laisse le projet traîner dans les limbes du ministère des Transports, sans fournir de date limite ni donner de précisions sur ses réticences. Le premier ministre, pourtant comptable de formation, s’enfarge même dans les chiffres en affirmant erronément et sans preuve que le plan actuel soustrairait quelque 800 millions de dollars à la desserte des banlieues, ne leur laissant qu’un maigre 200 millions, montrant ainsi qu’il ne connaît guère le dossier (voir la chronique de François Bourque, « Quelles banlieues la CAQ veut-elle servir ? »).

Sanguin de tempérament, le maire Labeaume s’inquiète depuis le rapport du BAPE et ameute l’opinion publique sans réussir à faire bouger le gouvernement d’un iota. La raison de cet immobilisme réside dans le fait que cette inaction est au cœur de la stratégie du gouvernement dans ce dossier.

Celle-ci se décline ainsi. Dans un premier temps, laisser pourrir le dossier dans le but de lasser le maire Labeaume au point que celui-ci rende son tablier, ce qui permettrait peut-être au protégé de la CAQ, Jean-François Gosselin, de remporter l’élection de novembre contre un nouveau venu moins redoutable. Dans le cas où le maire Labeaume déciderait de se représenter, insister sur le caractère référendaire de l’élection pour fédérer les anti-Labeaume et faire de l’opposition multisources au tramway le bélier qui le fera tomber et mettra M. Gosselin en selle. Dans tous les cas, il s’agit d’étirer la sauce jusqu’en novembre, puis de faire dérailler le tramway avec l’aide de M. Gosselin pour promouvoir le projet de 3e lien, qui n’a aucune chance d’être réalisé pour des raisons techniques et financières, et le maintien du statu quo.

La CAQ aura ainsi prouvé sa bonne volonté (cf. 3e lien) à ses électeurs, mais aura ramené Québec au XXe siècle. Bravo, champions !

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