Qu’est-ce qu’une université?

«Aucun module de formation du même genre ne semble exister pour expliquer aux étudiants (et même aux recteurs et aux gestionnaires) ce qu’est une université et ce qu’elle exige des personnes qui veulent y étudier ou y œuvrer», note l'auteur.
 
Photo: Andrei Pungovschi Agence France-Presse «Aucun module de formation du même genre ne semble exister pour expliquer aux étudiants (et même aux recteurs et aux gestionnaires) ce qu’est une université et ce qu’elle exige des personnes qui veulent y étudier ou y œuvrer», note l'auteur.
 

De nos jours, la mode en « gestion des ressources humaines » est à la confection de « modules de formation » pour éduquer et « sensibiliser » les personnes à divers sujets. Dans le domaine de la recherche universitaire, les Fonds de recherche du Québec proposent de tels modules sur « la diffusion responsable des résultats de recherche » et sur « l’éthique de la recherche ». On y suit des mises en situation avec des dessins animés et une fois l’exercice terminé, on se fait dire — de manière un peu infantilisante, il faut l’avouer — « Bravo ! Vous avez terminé cette activité ! ». De même, les Conseils de recherche fédéraux offrent aussi un « Module de formation portant sur les préjugés inconscients », lequel doit être suivi par toute personne appelée à évaluer des demandes de subvention.

Curieusement, aucun module de formation du même genre ne semble exister pour expliquer aux étudiants (et même aux recteurs et aux gestionnaires) ce qu’est une université et ce qu’elle exige des personnes qui veulent y étudier ou y œuvrer. Or, à lire certains textes récents, on se dit qu’un tel module devrait en fait être obligatoire pour toute personne qui est (ou veut être) associée à une université.

Nous proposons donc que la ministre de l’Enseignement supérieur mandate l’une de ces firmes habituées à produire de tels « modules » pédagogiques pour les chercheurs universitaires d’en préparer un portant spécifiquement sur cette institution très spéciale qu’on nomme « université ».

Pour faciliter leur travail, voici quelques éléments essentiels que devrait contenir cette « sensibilisation » à la spécificité de l’université.

Contrairement aux écoles primaires et secondaires, l’université n’est pas obligatoire. Chaque établissement fixe ses normes d’admission, le niveau de connaissance minimum qui doit avoir été acquis avant de pouvoir y accéder. Par exemple, avoir réussi des études collégiales avec de bonnes notes.

L’université est à la fois un lieu de formation et de recherche. En plus d’enseigner, les professeurs sont en effet requis d’entreprendre des recherches originales dans leur domaine de spécialité, le tout sur la base de leurs intérêts, hypothèses et intuitions.

L’université a pour mission singulière de faire avancer les connaissances dans tous les domaines et d’en diffuser les résultats urbi et orbi à l’ensemble des citoyens et citoyennes de la planète.

L’université est une institution autonome qui ne dépend ni des religions ni des gouvernements. Cela signifie que chaque université définit le contenu de ses enseignements et des recherches qui y ont cours selon les priorités qu’elle se fixe et les champs d’intérêt de son corps professoral. Pour l’enseignement, elle peut consulter ses étudiants actuels ou potentiels. Les gouvernements ne peuvent pas imposer aux universités, bien qu’elles soient subventionnées par les pouvoirs publics, leurs vues sur ces savoirs ni influer sur le choix des professeurs.

On comprend dès lors que, pas plus que les religions ou les gouvernements, les étudiants ne peuvent prétendre (au nom d’on ne sait quelles convictions) avoir le droit de définir le contenu des cours ou le choix des professeurs. Une fois admis à l’université, l’étudiant peut faire connaître, via les évaluations de fin de cours, son opinion sur divers aspects des cours qu’il a suivis et choisir de s’inscrire ou non à tel ou tel cours optionnel. Par contre, si le cours est obligatoire dans le programme, il ne peut exiger qu’il soit donné par une personne de son choix, choisie sur la base arbitraire du genre ou de caractéristiques physiques ou même morales. En somme, le choix du professeur est la prérogative de l’université, par l’intermédiaire des directions de département et de programme. Ces professeurs sont d’ailleurs habituellement embauchés sur la base de leur expertise acquise au cours de plus de vingt années d’études, qui se concluent par un diplôme de doctorat souvent bonifié par des stages postdoctoraux. De plus, ils n’acquièrent généralement la sécurité d’emploi qu’après plusieurs années (entre 4 et 6 ans) à la suite d’évaluations rigoureuses de leurs activités d’enseignement et de recherche.

Un mot devra être consacré dans ce module au « pouvoir » pour rappeler qu’en effet, les professeurs ont du « pouvoir », et ce, pour au moins deux raisons : a) d’abord parce qu’ils sont plus formés que les étudiants à qui ils enseignent ; sinon on se demande bien pourquoi ces étudiants, s’ils en savaient autant ou plus que le professeur, suivraient son cours ; b) ensuite, parce qu’une université doit évaluer les étudiants et sanctionner leurs diplômes. C’est bien là le pouvoir inhérent à cette institution, lequel est délégué à la fois aux professeurs et à des gestionnaires comme les doyens, les vice-recteurs et les recteurs.

Enfin, le « module » devra conclure en rappelant que les personnes qui envisageraient de diriger une université doivent s’engager à en défendre l’autonomie durement acquise depuis 800 ans, d’abord contre les Églises, ensuite contre les États et, plus récemment, contre les entreprises. Il n’y a donc pas de place parmi les gestionnaires d’une telle institution pour des personnes arrivistes ou carriéristes toujours déjà prêtes à céder à toute demande provenant d’une minorité bruyante, surtout quand ces demandes sont en fait incompatibles avec la mission fondamentale d’une véritable université.

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