En santé et sécurité au travail, on ramène les femmes 40 ans en arrière

Instauré en 1981, le droit au retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite est un grand acquis social au Québec. Son objectif est de permettre aux travailleuses de vivre une grossesse et une période d’allaitement sans danger.
Malgré les réussites du Programme pour une maternité sans danger, des représentants du patronat remettent constamment en question sa légitimité. Au lieu de valoriser cet acquis, le projet de loi modernisant le régime en santé et sécurité du travail le fragilise. C’est à se demander s’il s’agit vraiment d’une modernisation ou d’un retour en arrière pour les travailleuses enceintes ou qui allaitent.
Pourtant, le Programme pour une maternité sans danger fonctionne et les employeurs sont de plus en plus enclins à fournir des aménagements aux travailleuses enceintes ou qui allaitent. En effet, le maintien en emploi durant la grossesse est passé d’une proportion d’un peu plus de 10 % en 1992 à une proportion de 56 % pour l’année 2018.
Concrètement, ce sont les travailleuses enceintes ou qui allaitent qui assument la responsabilité de voir à l’application des recommandations inscrites sur leur certificat de retrait préventif. Elles participent à l’identification des risques et à la recherche de solutions favorisant la prévention au travail. Ces compétences sont d’ailleurs prévues à la Loi sur la santé et la sécurité du travail.
Lorsqu’elles décident de se prévaloir de leur droit de retrait préventif, les travailleuses ont l’habitude de se tourner vers leur médecin traitant ou un autre professionnel de la santé pour discuter des dangers liés à l’exercice de leur travail et pour établir les recommandations facilitant leur maintien en emploi. En plus des médecins traitants, les infirmières praticiennes spécialisées et, plus récemment, les sages-femmes sont habilitées à intervenir en la matière.
À leur tour, ces professionnelles et les médecins traitants se tournent vers la santé publique du travail pour remplir le certificat. Avec le temps, une forme de collaboration avec les membres des équipes du réseau de santé publique en santé au travail s’est mise en place pour déterminer les conditions de l’emploi qui comportent des dangers et recommander des moyens permettant de favoriser un sain maintien en emploi.
Un droit en danger
Malheureusement, le projet de loi 59 met en péril le droit de retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite, puis amenuise la portée de la Loi sur la santé publique.
D’abord, il ajoute des protocoles indiquant les dangers et les conditions d’emploi qui y sont associés, puis il centralise leur gestion à la Commission des normes, de l’équité et de la santé et sécurité du travail (CNESST). Bien que la Direction de la santé publique soit chargée d’élaborer ces protocoles, ceux-ci répondent aux besoins que la CNESST lui communique. De même, c’est la Commission qui est responsable de les publier.
Ces changements que le ministre souhaite apporter à la Loi sur la santé et la sécurité du travail vont vraisemblablement réduire la possibilité pour les travailleuses de faire reconnaître des dangers liés à leur travail durant la grossesse ou l’allaitement. Comme elles sont exclues de l’élaboration de ces protocoles, cela a pour effet d’affaiblir leur capacité à juger les risques que comporte leur travail et à chercher des solutions pour les éliminer.
De plus, le projet de loi porte atteinte à l’indépendance des médecins responsables des services de santé de l’entreprise. Selon les nouvelles dispositions proposées, ces médecins ayant le pouvoir de délivrer un certificat de retrait préventif peuvent dorénavant être sélectionnés par l’employeur seul et ne pas être affiliés à la Santé publique. Ce faisant, ils peuvent agir sans avoir l’obligation de collaborer avec la Santé publique et les autres acteurs de la santé. Ces modifications proposées portent atteinte aux principes du paritarisme et nuisent à l’intendance de la Santé publique en matière de prévention.
Modernisation ou retour en arrière ?
Même si les travailleuses enceintes ou qui allaitent sont maintenues plus longtemps en emploi et que les jours d’indemnisation sont à la baisse, le Conseil du patronat du Québec, en 2021, considère qu’il est préférable de les retirer des milieux de travail et de déresponsabiliser les employeurs de leurs obligations en la matière.
Rappelons qu’à l’époque, le Parti québécois avait compris que la seule façon de favoriser l’égalité entre les hommes et les femmes sur le marché du travail était d’inclure les travailleuses avec leur spécificité dans la Loi sur la santé et sécurité du travail.
Une réelle modernisation en santé et sécurité du travail ne peut se faire sans respecter les principes participatifs et paritaires du régime actuel de la santé et sécurité du travail. Nous invitons le ministre Boulet à saisir cette occasion qu’est la réforme en santé et sécurité du travail pour garantir pour de bon aux travailleuses enceintes ou qui allaitent le droit à un emploi sain et sécuritaire.