«Poèmes et chants de la résistance II», 50 ans plus tard

La crise sanitaire, de par son ampleur, de même que les élections américaines, dans un contexte totalement inédit, relèguent au second plan bon nombre d’événements qui, autrement, auraient pu davantage teinter l’actualité. En d’autres temps, la commémoration de la crise d’octobre 1970 au Québec aurait pu susciter un plus grand intérêt. Cinquante ans plus tard, le sort réservé à près de 500 personnes arrêtées, dont une majorité de jeunes, principalement lors des célèbres rafles nocturnes, n’émeut plus guère les habitants de ce pays. Il en était tout autrement durant la période qui suivit ce traumatisme. C’est dans ce contexte singulier qu’en janvier 1971, des artistes, dont plusieurs étaient bien établis, donnèrent une série de deux spectacles pour appuyer la lutte pour la libération des prisonniers politiques. Ces spectacles intenses s’intitulaient avec justesse Poèmes et chants de la résistance II.
Petit rappel du contexte social
Ce fut pourtant au nom de la démocratie, sous le prétexte de l’insurrection appréhendée, que fut appliquée la fameuse Loi sur les mesures de guerre (datant de 1914), qui permettait des arrestations massives, faites sans mandat, sur tout le territoire québécois. Il s’agit cependant d’une des grandes taches de l’histoire du Canada. Parmi tous les prisonniers politiques de cette époque, plusieurs sont maintenant décédés. La reconnaissance des faits ou les excuses, pour ces arrestations totalement arbitraires, pour l’atteinte aux droits démocratiques à l’égard de ces centaines de personnes, tout indique qu’elles ne viendront pas, du moins pas dans un proche avenir, de la part d’aucun des ordres de gouvernement. Cela peut paraître bien malheureux pour celles et ceux qui restent, de même que pour la postérité.
Il faut bien se souvenir qu’en dépit des milliers de perquisitions et des nombreuses arrestations en quelques jours, ces opérations se sont soldées par un échec cuisant, puisque les felquistes ravisseurs sont demeurés longtemps au large. La majorité des personnes arrêtées, parmi lesquelles se trouvaient des libres penseurs, des syndicalistes, des militants, des artistes, surtout chanteurs ou poètes, ont été innocentées (95 % des cas) et 85,7 % des personnes arrêtées ont été libérées dans les jours ou le mois qui suivit. C’était réellement kafkaïen, exempt d’explications réelles ou de véritables procès.
« Poèmes et chants de la résistance II »
Malgré le choc terrible pour les milieux progressistes ou indépendantistes, un peu plus de trois mois après, le Comité de défense des prisonniers politiques décida d’organiser un événement en appui à ceux-ci. Intitulé Poèmes et chants de la résistance II, tenu les 24 et 25 janvier 1971 à la salle du Gesù, sur la rue Bleury à Montréal, il s’agissait d’un spectacle bénévole qui regroupait des poètes, des chanteurs et des comédiens venus faire un pied de nez au régime alors en place. Durant ces deux soirées à guichets fermés, il régnait une réelle effervescence, en dépit du fait que le public ressentait la gravité du moment. Bien des spectateurs pouvaient être vus, devant l’entrée du théâtre vétuste, portant une tuque ou des drapeaux aux couleurs des Patriotes. À l’intérieur, il y avait des tables de documentation où l’on vendait, entre autres, de grandes affiches, en noir et blanc, avec l’image de Paul Rose le poing en l’air.
Le chanteur populaire Jacques Michel ouvrait la soirée en chantant « Viens ! Un nouveau jour va se lever et son soleil brillera pour la majorité qui s’éveille ». Le Jazz libre du Québec était l’orchestre accompagnateur. Des poèmes étaient déclamés par des comédiens comme Jean-Pierre Cartier, Michèle Rossignol, Sophie Clément, Aubert Pallascio, Lionel Villeneuve ou Hélène Loiselle, de même que par les poètes Michèle Lalonde ou Raoul Duguay. Les chansonniers-vedettes Georges d’Or, Raymond Lévesque et Gilles Vigneault y interprétaient de leur succès. La chanteuse « engagée » Pauline Julien, qui avait été arrêtée au mois d’octobre précédent, y était allée d’une chanson écrite au moment où elle avait été incarcérée. Le monologuiste Yvon Deschamps revisitait, à sa façon, l’histoire du Canada. Le tout était entrecoupé de segments intitulés « Québec, territoire occupé » (1760, 1774, 1789, 1807, 1837, 1916, 1960, 1971).
Il existe une captation audio de ces spectacles, sur vinyle, qui n’a jamais été rééditée. Il serait peut-être temps d’en rematricer une copie numérique afin de rendre ce document plus accessible aux publics intéressés. On aurait tout à gagner à le faire. En attendant, il est possible d’écouter ces enregistrements sur la plateforme YouTube.
Une dernière suggestion. Il serait peut-être intéressant d’apposer une plaque devant l’édifice qu’on appelait alors « Parthenais », où furent enfermés les prisonniers d’octobre 1970. En plus d’y apposer les noms des 497, on pourrait mentionner que la plupart des personnes furent emprisonnées injustement dans le cadre de l’application inique, en temps de paix, de la Loi sur les mesures de guerre. Ce pourrait être quelque chose du genre, histoire de ne rien oublier.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées en accueillant autant les analyses et commentaires de ses lecteurs que ceux de penseurs et experts d’ici et d’ailleurs. Envie d’y prendre part? Soumettez votre texte à l’adresse opinion@ledevoir.com. Juste envie d’en lire plus? Abonnez-vous à notre Courrier des idées.