«Mayday, Mayday, Mayday»

«Air Canada, WestJet, Air Transat et les autres compagnies aériennes d’ici ont investi des sommes considérables au cours des dernières décennies afin de tisser leurs réseaux de destinations, de constituer leurs flottes, d’implanter leurs infrastructures», écrit l'auteur.
Photo: Olivier Zuida Le Devoir «Air Canada, WestJet, Air Transat et les autres compagnies aériennes d’ici ont investi des sommes considérables au cours des dernières décennies afin de tisser leurs réseaux de destinations, de constituer leurs flottes, d’implanter leurs infrastructures», écrit l'auteur.

« Mayday ». Tout le monde connaît la signification de ce message de détresse : la situation est grave, voire désespérée !

Après les défaillances du gouvernement fédéral (le ministère des Transports en premier lieu) au cours de ces 10 mois de pandémie, l’industrie aérienne aurait toutes les raisons detransmettre cet appel d’urgence, et cela devrait interpeller chaque citoyen de ce pays.

On peut critiquer autant qu’on le souhaite les pratiques de ce secteur, il n’en reste pas moins que cette industrie est au cœur de la santé économique canadienne. Des compagnies aériennes en santé sont synonymes de désenclavement des régions éloignées, de développement, de compétitivité et de dynamisme pour bon nombre d’entreprises d’ici, de nombreux emplois qualifiés souvent bien rémunérés (146 000 emplois directs et des centaines de milliers d’autres indirects). Au même titre que l’infrastructure routière, au même titre que le réseau ferroviaire, l’industrie aérienne est un élément structurant de notre immense territoire.

Sans une aide sectorielle rapide du gouvernement, nos compagnies déjà grandement fragilisées s’approcheront dangereusement du décrochage vis-à-vis de la concurrence étrangère. Et c’est sur ce point précis que la population canadienne doit réfléchir, car les conséquences se feront sentir sur le long terme à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de nos frontières. Air Canada, WestJet, Air Transat et les autres compagnies aériennes d’ici ont investi des sommes considérables au cours des dernières décennies afin de tisser leurs réseaux de destinations, deconstituer leurs flottes, d’implanter leurs infrastructures. Ces acquis sont aujourd’hui en danger.

Si le gouvernement a vraiment à cœur l’intérêt des Canadiens comme il le prétend, il doit honorer les promesses de cet automne et apporter des solutions à notre industrie devant la concurrence extérieure, à qui des prêts garantis, des subventions ou des prises de capital ont été proposés (55 milliards $US aux États-Unis ; 10,5 milliards $US en Allemagne ; 8 milliards $US en France ; 3,3 milliards $US en Italie ; 7 milliards $US au Royaume-Uni, etc.). Il n’est pas difficile de comprendre que la concurrence étrangère sera en bien meilleure posture pour profiter pleinement de la reprise et pour venir dévorer les parts de marché que nos compagnies auront beaucoup de difficulté à regagner. Il en va même, en quelque sorte, de notre souveraineté canadienne.

Le dossier du remboursement des billets d’avion est un obstacle que chacune des parties devrait s’accorder à résoudre de façon urgente. Les consommateurs ont raison de vouloir récupérer leur argent. De leur côté, les compagnies aériennes n’ont tout simplement pas les capacités financières de les rembourser. Le gouvernement fédéral joue ici à un jeu politique dangereux et défavorable aux deux autres parties. Malgré la complexité de la situation, ce dossier est relativement facile à régler ! Tous les autres pays ayant apporté leur soutien au secteur aérien l’ont compris : l’aide aux compagnies est conditionnelle au remboursement des consommateurs. Et nous ? Que n’avons-nous pas encore compris ?

Le gouvernement ne peut pas non plus se dégager entièrement de sa responsabilité dans cette situation : la fermeture des frontières et lesinjonctions à ne pas voyager sont peut-être nécessaires dans cette crise sanitaire. Mais l’urgence du moment ne doit pas compromettre les capacités de rebond de nos industries et de nos transporteurs. Laisser faire autrement serait une grave erreur pour tous les Canadiens.

Alors ? Que souhaitons-nous en tant que citoyens ? En tant que consommateurs ? En tant que voyageurs ? Des compagnies canadiennes exsangues ? Pire, la disparition de transporteurs ? Des milliers d’emplois à jamais détruits ? Moins de choix dans les destinations accessibles ? Des fréquences grandement réduites ? Un réseau cannibalisé par les compagnies d’ailleurs qui n’auront aucun intérêt à venir desservir notre marché domestique secondaire ?

L’entêtement et l’inertie d’Ottawa nous mènent directement vers cette « nouvelle » réalité. Car, oui, dans un avenir pas si lointain, nous pourrons à nouveau voyager. Espérons seulement qu’il ne sera pas trop tard et que notre industrie aura été soutenue à temps pour être en mesure de reprendre son envol à la suite de cette incroyable tempête sanitaire.

* Cette lettre est appuyée par plus d’une centaine de professionnels de l’aviation, contrôleurs aériens, mécaniciens, agents de bord, managers et autres.

À voir en vidéo