S’occuper de ses «vieux», c’est bon pour la société

Dans les derniers jours, nous avons suivi avec préoccupation ce qui se dit sur la place publique des patients en CHSLD dans le réseau de la santé. Les discours opposant les « vieux » aux « jeunes » ou insinuant que les uns prennent injustement la place des autres nous ont profondément perturbés. Nous souhaitons clarifier quelques points dans ce débat.
Dans le rapport de l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) sur la première vague, paru en décembre 2020, on nous informe que « [l]es personnes résidant en CHSLD étaient relativement peu souvent hospitalisées, mais elles étaient lourdement affectées par les décès ». En effet, même si 64,9 % des décès au Québec sont survenus chez la population en CHSLD, elle ne représentait que 12,9 % des hospitalisations.
Nous n’avons pas de chiffres actuels, mais les constats sur le terrain nous laissent croire que la tendance est semblable dans cette deuxième vague. D’ailleurs, l’INESSS n’inclut même pas les patients en CHSLD dans ses projections hebdomadaires vu leur faible utilisation des ressources hospitalières. Il est donc faux de croire que nos patients en CHSLD contribuent de façon importante au débordement des hôpitaux ou qu’ils sont responsables du délestage des soins aigus, situation que nous déplorons tous.
En fait, contrairement à ce qu’on laisse entendre, ce ne sont pas majoritairement des personnes en fin de parcours, mais des citoyens d’un certain âge vivant en communauté qui représentent les plus hauts taux d’occupation des lits d’hospitalisation et de soins intensifs. Sachant cela, si on se lance dans une opposition de « vieux » contre « jeunes », à quel seuil d’âge commence-t-on à considérer quelqu’un comme « vieux » ? Quand considère-t-on qu’une personne « a vécu sa vie », sachant que certains jeunes ont de lourds problèmes de santé, alors que certains vieux sont en forme ? Notons que l’âge moyen de certains groupes de médecins et de politiciens tombe dans les tranches d’âge les plus admises aux soins intensifs.
Nous sommes d’avis qu’en tant que société, nous devons nous éloigner de ce genre de vision dichotomique, pente glissante qui mène trop souvent vers l’âgisme. Évidemment, dans un contexte de pénurie de lits ou de ventilateurs, une priorisation des ressources basée sur des critères objectifs de chance de survie nous paraît tout à fait éthique. D’ailleurs, les « vieux » donneraient sans hésitation leur place aux « jeunes » !
Nous aimerions donc rediriger le discours public vers un autre modèle : « les bons soins, à la bonne personne, à la bonne place ». Pour les patients en CHSLD, il nous paraît évident que les soins les plus optimaux sont ceux prodigués à même leur milieu. C’est pour cela que nous travaillons avec acharnement pour les soigner, jour et nuit, en CHSLD.
Cependant, nos patients ont à l’occasion besoin du plateau technique de l’hôpital. Par exemple, les patients plus jeunes avec une déficience intellectuelle ou physique, qui ont une très bonne espérance de vie, sont candidats à des soins actifs lorsque leur état se détériore. De plus, une personne âgée qui se fracture la hanche devra subir une opération d’urgence pour retrouver sa qualité de vie et son confort. Enfin, certains problèmes de santé aigus ou chroniques décompensés peuvent avoir besoin d’être traités à l’hôpital. Nous ne voudrions pas qu’une vision tendancieuse finisse par bloquer l’accès aux hôpitaux basé sur l’étiquette de la provenance « CHSLD ».
Une correction s’impose
Malheureusement, depuis la pandémie, trop de patients se sont retrouvés à l’hôpital non pas parce que c’était médicalement requis, mais à cause d’une incapacité de leurs milieux à fournir les soins essentiels à leur état de santé. Il faut d’urgence travailler ensemble pour corriger ces problèmes, à court, moyen et long terme. Le délestage vers les équipes de soins à domicile et les CHSLD est donc, aussi, une façon de désengorger les hôpitaux pendant la pandémie.
Post-crise, surtout avec le vieillissement de la population, il faudra repenser notre offre globale de services dans le continuum des soins aux personnes âgées, afin qu’elles reçoivent toujours les meilleurs soins dans le milieu le plus adapté, idéalement en amont de l’hôpital. Il est bien connu que la recette gagnante pour diminuer l’influx de patients dans les urgences est de rehausser et d’améliorer les soins de première ligne, à domicile, dans les résidences et dans les CHSLD.
Enfin, nous aimerions souligner que la mort n’est pas un tabou en CHSLD. Nous la côtoyons régulièrement. C’est l’aboutissement de tout être humain sur cette terre et elle ne nous fait pas peur. D’ailleurs, nous accompagnons la plupart de nos patients et leurs proches pendant la dernière tranche de vie et nous avons comme mission prioritaire d’offrir les meilleurs soins de fin de vie possible.
Or, la pénurie de ressources matérielles et humaines en CHSLD (de longue date, mais exacerbée par la pandémie) et la transformation de nos milieux de vie en mini-hôpitaux de soins COVID-19 nous ont trop souvent empêchés de donner les soins de fin de vie optimaux, au cœur de la tempête des éclosions, durant la première vague et même maintenant. Le rapport dévastateur du Protecteur du citoyen l’a bien mis en lumière.
S’il y a une chose que nous avons apprise de la pandémie, c’est que le décès d’une personne en CHSLD des suites de la COVID-19 n’est pas une tragédie, mais son départ de ce monde dans la souffrance et la solitude, sans les soins nécessaires, sont au rang de l’inacceptable.
Nous ne demandons pas une place égale dans les hôpitaux ou les soins intensifs pour nos patients. Nous ne demandons même pas qu’ils vivent à tout prix. Mais nous demandons qu’ils reçoivent des soins dans la dignité, ce que tout le monde mérite à titre égal.
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