La langue de la loi

«Cette traduction aurait l’avantage d’imposer un vocabulaire qui correspond au Québec réel: celui d’un véritable État national, doté de ses institutions propres, au sein de la fédération canadienne», affirme l'auteur.
Photo: iStock «Cette traduction aurait l’avantage d’imposer un vocabulaire qui correspond au Québec réel: celui d’un véritable État national, doté de ses institutions propres, au sein de la fédération canadienne», affirme l'auteur.

L’année qui débute court de bonnes chances d’être marquée par plusieurs développements dans le dossier linguistique : la réforme de la Charte de la langue française du ministre Simon Jolin-Barrette, la révision de la Loi sur les langues officielles à Ottawa, le Sommet sur le rapprochement des francophonies canadiennes et, vraisemblablement, l’audition du recours introduit par le professeur François Larocque et par l’ex-sénateur Serge Joyal pour forcer la fédération à s’acquitter de son obligation d’adopter une version officielle française des textes de la Constitution antérieurs à 1982. Ce dernier recours pose la question de savoir s’il existe un délai ainsi qu’une sanction au non-respect de cette obligation prévue depuis l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1982.

La chose peut paraître coloniale : les textes de la Constitution qui exigent du fédéral et du Québec qu’ils adoptent des lois dans les deux langues n’existent officiellement… qu’en anglais ! En effet, la version française de dix-sept textes constitutionnels n’a pas de valeur juridique ; seule leur version anglaise, édictée par le Parlement britannique, a valeur officielle.

Si la Loi constitutionnelle de 1982 charge le ministre fédéral de la Justice de traduire ces textes « dans les meilleurs délais », il n’en demeure pas moins que leur adoption subséquente implique formellement le recours aux différentes procédures de modification de la Constitution en vigueur depuis le rapatriement. Or, ces procédures sont à « intensité variable ». Certaines exigent l’accord des deux tiers des partenaires de la fédération ou même l’unanimité, pendant que d’autres prévoient la modification unilatérale ou bilatérale de certaines dispositions par les entités concernées. En l’occurrence, l’article 45 de la Loi constitutionnelle de 1982 confirme le pouvoir du Québec de modifier lui-même une partie importante de la Constitution.

Traduire et moderniser

 

Cette partie de la Constitution, enchâssée dans le texte de 1867, le Québec l’a d’ailleurs modifiée par le passé, notamment, en 1968, en abolissant la seconde chambre du Parlement du Québec et en rebaptisant l’Assemblée législative de l’État québécois Assemblée nationale. Toutefois, à cette occasion, le Québec a alors exercé sa part du pouvoir constituant en édictant une norme plus récente — sans modifier explicitement le texte de la Loi constitutionnelle de 1867. Autrement dit, sur le plan de la technique rédactionnelle, il a inscrit son changement « en dehors », et non à l’intérieur, des textes constitutionnels communs à l’ensemble de la fédération.

En s’appuyant sur le même pouvoir qui lui a permis d’abolir le Conseil législatif en 1968, le Québec pourrait aujourd’hui — sans délai et sans demander aux autres entités de la fédération leur assentiment — traduire, modifier et adopter une portion importante du texte de 1867 (entre autres, les articles 71 et suivants du titre V portant sur les institutions des provinces).

Par un tel geste, le Québec, qui a connu tant d’échecs sur le front constitutionnel, introduirait sa traduction, son vocabulaire, sa manière de nommer ses institutions dans une partie significative de la Constitution. Il pourrait se définir comme un « État membre de la fédération » plutôt que comme l’une des « provinces » du « dominion ». Dans l’exercice de sa part de souveraineté partagée, le Québec pourrait inscrire l’existence de son « Parlement » (et non d’une « législature »), dans lequel figure évidemment son Assemblée nationale (à ne pas confondre avec les termes « assemblée législative », à ce jour, encore employés dans le texte de la Loi constitutionnelle de 1867 tel qu’il est traduit par le ministère fédéral de la Justice).

Cette traduction aurait l’avantage d’imposer un vocabulaire qui correspond au Québec réel : celui d’un véritable État national, doté de ses institutions propres, au sein de la fédération canadienne. Elle permettrait de nommer et d’inscrire la spécificité de ses institutions et de certains principes constitutifs directement dans le texte de la Constitution du Canada, et ce, par l’adoption d’une loi du Québec dont le contenu devrait néanmoins se situer à l’intérieur de sa compétence constituante prévue à l’article 45.

Autonomie constitutionnelle

 

Geste fort d’affirmation, cette modification unilatérale exprimerait de façon pédagogique au reste du Canada la vision du Québec sur l’exercice de ses pouvoirs et de ses fonctions constitutionnels, en plus d’amorcer — sans attendre l’approbation des autres membres de la fédération — la nécessaire traduction des textes. Certes, cela pourrait en surprendre certains qui, à tort, ont trop souvent tendance à reconnaître aux autorités fédérales une forme de monopole ou de veto sur les textes de la Constitution du Canada, pourtant commun à l’ensemble de la fédération.

Dans son « projet nationaliste », la Coalition avenir Québec a beaucoup misé sur des propositions de changements « pragmatiques » qui tiennent compte du degré variable de rigidité des procédures inscrites dans les procédures de modification adoptées en 1982 — sans l’accord du Québec. Le dossier linguistique, en général, et celui de la nécessaire adoption d’une version officielle française des textes constitutionnels, en particulier, offrent au gouvernement de la Coalition avenir Québec l’occasion de passer de la parole aux actes. À moins de prétendre que la compétence prévue à l’article 45 ne puisse s’exercer qu’en anglais, rien n’empêche le Québec de modifier et de traduire unilatéralement la portion des textes de 1867 qui relève entièrement de sa compétence constituante. Il suffit d’une loi énonçant explicitement cette traduction et cette réécriture partielles de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867 pour accompagner la réforme linguistique à venir d’un volet constitutionnel, lequel, bien que modeste, pourrait se révéler comme le changement constitutionnel le plus important des dernières décennies.

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