Deux poids, deux mesures en matière de pollution

L’écart entre notre réaction à la COVID-19 et notre réponse aux crises environnementales est frappant. Confrontés à la pandémie, les gouvernements ont adopté des mesures draconiennes pour limiter la catastrophe. Ces mesures ne sont pas sans conséquence : le chômage et la dette publique mettront des années à se résorber. Ce sont néanmoins des sacrifices jugés nécessaires pour protéger la santé publique.
Les crises environnementales ne sont pas abordées avec le même aplomb. La pollution, tout comme la pandémie, cause des dommages de toutes sortes qu’aucun indicateur ne peut exprimer à lui seul. Cependant, puisque nous sommes maintenant habitués à évaluer la gravité d’une crise par le nombre de morts qu’elle entraîne, retenons cet indicateur : selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la COVID-19 causera près de 2 millions de morts en 2020 ; toujours selon l’OMS, les différentes formes de pollution sont responsables de plus de 12 millions de morts par année. Atténuer l’hécatombe causée par la pollution ne provoquerait pas une récession majeure comme celle dans laquelle la COVID-19 nous a plongés. Pourtant, depuis des décennies, les environnementalistes se font répondre qu’il faut modérer les mesures environnementales pour éviter de déstabiliser l’économie.
Il s’agit de deux poids, deux mesures. Comment expliquer que les gouvernements n’acceptent pas d’investir autant pour l’environnement qu’ils sont prêts à le faire pour lutter contre la COVID-19 ? Quatre biais faussent nos perceptions en défaveur des problèmes environnementaux.
Le premier biais concerne l’identification des victimes. Celles de la COVID-19 sont facilement identifiables. Celles de la pollution le sont rarement. L’effet de la pollution sur la santé publique est diffus, entraînant des « victimes statistiques ». Bien que l’on sache que la pollution atmosphérique augmente la fréquence des maladies pulmonaires et des insuffisances cardiaques et cause un surplus de 7 millions de morts par année, on peut difficilement établir quel individu en particulier aurait été épargné en l’absence de pollution.
C’est la même chose pour les victimes des eaux polluées, de l’appauvrissement de la couche d’ozone et des changements climatiques. Le lien de causalité entre la pollution et la mort est plus facile à établir statistiquement, à l’échelle d’une population entière, que médicalement, pour un individu en particulier. Or, sans victimes clairement identifiables, face uniquement à de froides statistiques, il est difficile de ressentir de l’empathie et de s’émouvoir des effets de la pollution.
Les populations vulnérables
Le second biais est politico-économique. Tant la COVID-19 que la pollution affectent de manière disproportionnée les populations les plus vulnérables. Toutefois, la COVID-19 est plus menaçante pour les élites que ne l’est la pollution. Le virus a infecté de puissants chefs d’État et de riches chefs d’entreprise. En revanche, les changements climatiques et la perte de biodiversité ne menacent pas directement les élites.
L’argent offre un meilleur rempart contre la pollution que contre un virus. Puisque les élites bénéficient de porte-voix dans les débats de société, leurs intérêts sont surreprésentés.
Le troisième biais est l’optimisme spatial. Nous avons faussement l’impression que les crises environnementales se déroulent dans des pays éloignés. Nous avons également été victimes de ce biais pour la COVID-19 en janvier et février dernier, lorsque l’épidémie semblait limitée à l’Asie et que l’Occident a négligé de se préparer suffisamment tôt. Dès le mois de mars, cependant, nous avons été contraints de constater que nous n’allions pas échapper à la pandémie. Or, nous sommes toujours bercés par cette illusion d’être relativement épargnés des dommages causés par la pollution.
Des crises annoncées
Le dernier est un biais temporel. La pandémie fut soudaine et nécessita des mesures d’urgence. En revanche, les crises environnementales sont annoncées depuis des décennies. Elles sont aussi trop souvent perçues comme des événements à venir plutôt que des catastrophes qui se déroulent sous nos yeux.
Dès lors, nous nous sommes habitués aux sombres prophéties environnementalistes, qui font maintenant partie du bruit de fond constant des débats publics. Même si la dégradation de l’environnement requiert des correctifs immédiats, elle n’est plus ressentie comme une urgence. Elle fait maintenant partie de notre normalité.
L’expérience de la COVID-19 nous enseigne que ce ne sont pas tant des obstacles économiques qui freinent la protection de l’environnement que des biais de perception. Pour corriger ces biais, il faut donner une plus grande visibilité aux victimes réelles et immédiates, celles qui nous ressemblent et qui nous sont proches. Ce n’est pas seulement pour les ours blancs, pour les prochaines générations ou pour de lointains réfugiés climatiques qu’il faut se mobiliser pour l’environnement ; c’est aussi pour nous-mêmes.