Pour une reconnaissance de la santé autochtone au Québec

«Le Québec demeure la seule province au Canada n’ayant pas de services et de programmes qui englobent la perspective de santé des peuples autochtones», écrivent les signataires.
Photo: Graham Hughes La Presse canadienne «Le Québec demeure la seule province au Canada n’ayant pas de services et de programmes qui englobent la perspective de santé des peuples autochtones», écrivent les signataires.

On apprenait récemment que l’absence de solutions simples dans le dossier de l’hôpital de Joliette « achale » le premier ministre. Un choix de terme pour le moins malheureux, s’il en est un. N’oublions pas que l’on se réfère à des événements profondément bouleversants révélant les failles d’un système de santé ou prévalent encore aujourd’hui des comportements d’une injustice sans nom.

Qu’on les qualifie de racisme systémique ou de discrimination structurelle ne change rien à l’horreur vécue par Joyce Echaquan, une femme, une mère, une sœur, qui a eu le courage d’alerter ses proches, alors qu’elle se trouvait dans un établissement dont la mission première est de soigner, de soulager, de réconforter. Tristement, un sort similaire en 2018 avait été réservé à Kimberly Gloade, femme micmaque à qui un hôpital de Montréal a refusé des soins.

Les personnes d’origine autochtone connaissent un taux de croissance démographique deux fois plus élevé que celui de la population québécoise, et plus de la moitié d’entre elles résident maintenant en milieu urbain. Pourtant, le Québec demeure la seule province au Canada n’ayant pas de services et de programmes qui englobent la perspective de santé des peuples autochtones.

Comment expliquer que le Québec tarde tant à emboîter le pas aux autres provinces, alors que cela fait plus de 25 ans que les rapports et les commissions se succèdent pour marteler l’impératif de l’autodétermination en santé pour les populations autochtones ?

Toujours est-il que les instances politiques continuent de saupoudrer de petits budgets pour des programmes plutôt que de planifier d’après le savoir des représentants de ces populations une approche intégrée, basée sur les meilleures pratiques qui ont fait leurs preuves depuis des millénaires. Certaines politiques alimentent la compétition entre organisations au lieu d’appuyer et de rétablir les droits et savoirs culturellement sécurisants que prônent les aînées dans leur appel au dialogue et au consensus.

Le Centre de santé autochtone de Tiohtià:ke travaille depuis 2008 à la mise en place d’une approche globale en quatre piliers favorisant l’accès à des services de qualité pour les plus de 35 000 autochtones des Premières Nations, métis ou inuits à Montréal. Ce centre présente un plan qui tient compte de la diversité des langues, des origines et des pratiques culturelles pour contrer les déterminants sociaux de la santé et constitue une occasion d’innover et de devenir une tête de file.

Tout d’abord, une formation en sécurisation culturelle vise à préparer les professionnels de la santé à mieux comprendre les dynamiques praticiens-patients inhérentes au système actuel. En 2017, le Centre a développé une telle formation afin de déboulonner certains stéréotypes issus du long historique de politiques colonialistes au pays. Or, peu nombreux sont les professionnels ayant reçu un tel enseignement au Québec, alors que la Colombie-Britannique exige que tout leur personnel ait reçu une formation de ce type en ligne.

De plus, on embauche des navigateurs autochtones dont le rôle consiste à accompagner les personnes au sein du système à chaque étape de leur trajectoire de soins. Le Centre Tiohtià:ke a introduit ce service à Montréal en 2018, mais il a dû être interrompu abruptement, faute de financement, fragilisant encore une fois la confiance des personnes qui bénéficiaient déjà de ce service.

La création de départements de santé autochtone au sein d’hôpitaux établis, connue comme l’indigénisation des services, institutionnalise ainsi les deux initiatives susmentionnées. Ce type d’approche implique qu’une équipe est responsable de l’inclusion d’approches traditionnelles au sein des services conventionnels et de l’adaptation des espaces physiques en lien étroit avec les cultures autochtones locales.

Finalement, la mise en place de centres de santé holistiques autochtones, comme on en retrouve déjà dans 12 villes à travers le Canada, offrirait des services de base, y compris en santé mentale et en ce qui concerne les dépendances, en utilisant les approches traditionnelles autochtones. Un tel centre ira bien au-delà des cliniques de proximité situées au sein des Centres d’amitié autochtone, qui semblent être le modèle expérimenté par le gouvernement pour les petites villes.

Certaines de ces mesures sont déjà en cours d’implantation, mais malheureusement de façon morcelée et trop souvent temporaire, alors que d’autres attendent d’être financées depuis des années. Seulement, les événements récents révèlent l’urgence de la mise en place d’un plan global, où toutes ces mesures seraint intégrées en un système cohérent qui ne saurait dépendre de la bonne volonté de quelques professionnels et individus.

De tels changements prendront bien sûr du temps, mais nous n’avons plus le luxe d’attendre : le Québec accuse déjà plusieurs retards en regard de ce qui se fait ailleurs. Il est grand temps que le Québec, fidèle à son idéal de nation distincte, fasse le choix de l’ouverture, de la modernité et de l’excellence en santé des Autochtones.

*Autres signataires : Faisca Richer, professeur, Faculté de médecine, Université McGill ; Wanda Gabriel, Kaniekeha’ka, Kanesatake, Program Co-Director QY/MSW, McGill University School of Social Work ; Pascale Kaniasta Annoual, art-ethnothérapeute, directrice de la clinique Arts, Racines & Thérapies et cofondatrice du Centre de santé autochtone de Tiohtià:ke.

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